L’élimination brutale et précoce de l’équipe nationale de football de la CAN a eu quelque chose de violent parce qu’aucune partie – pouvoir, staff, joueurs ou public – n’y était préparée. Tout le monde baignait dans un excès d’assurance reposant sur la capitalisation d’une longue série d’invincibilité, la conviction de disposer d’un entraîneur infaillible et d’un choix de joueurs de qualité. D’habitude, c’est le coach qu’on cloue au pilori, mais au vu de l’assentiment général dont il bénéficie, à juste titre, il aurait été inconvenant pour quiconque de se déjuger et de se démarquer d’une unanimité de trois ans parce que, pour une fois, les choses n’ont pas fonctionné comme prévu.
Parce que c’est le football, la réaction ne correspondra pas à la pratique établie en matière de gestion des échecs : le consensus au long cours a fait qu’il n’y avait pas de coupable à trouver parmi les partenaires politiques, sportifs et moraux de cette belle entreprise subitement, et d’ailleurs provisoirement, interrompue. C’est là une exception, en effet, car la “pensée politique” régnante repose sur l’axiome selon lequel, les autorités menant la bonne politique, les choses ne peuvent mal tourner qu’à cause d’une intervention malveillante. Celle-ci peut être le fait de coupables locaux ou étrangers ou, mieux, de coupables locaux liés à l’étranger. On a bien laissé le quidam acquis à la raison complotiste partir en quête du saboteur de son équipe autrement “invincible”. Les premiers coupables potentiels étaient, au demeurant, recensés dès avant le début du tournoi : la faiblesse de l’arbitrage, la mauvaise qualité de terrains, le climat, les horaires… Mais ces inconvénients étaient trop partagés pour en être la victime exclusive. Il restait le grigri et le “mauvais œil des envieux”…
Pour une fois, nous subirons une débâcle, qui n’est que sportive heureusement, sans coupable. Pour une fois, nous avons convenu qu’à un moment donné, on a simplement mal pensé ou mal accompli une tâche. Il y a de la pédagogie dans le football. Surtout pour les mauvais politiciens qui ne pensent qu’à l’instrumentaliser. Un tel mea culpa n’est en effet pas concevable en politique : là, la doctrine officielle stipule que, derrière chaque fiasco, il y a un saboteur malintentionné. Toutes les crises endurées ces dernières années – feux de forêt, inondations, coupures de courant, pénuries d’eau potable, insuffisance de liquidités, manque d’oxygène médical, faiblesse de débit internet, problème de qualité du blé... – ont été traitées par le limogeage de cadres, l’ouverture d’enquêtes pénales et l’inculpation de suspects. Ces procédures, justement parce qu’elles ne sont pas adéquates en traînant en longueur, posent la question de leur adéquation à des problèmes de gestion.
Auparavant, cette pénalisation systématique frappait l’activisme politique et l’expression publique en priorité. En rendant des acteurs sociaux comptables des effets des politiques publiques – comme dans le cas de la pénurie de produits de large consommation – le pouvoir veut prolonger la pénalisation, déjà effective, de la vie politique par une pénalisation de la vie sociale. Là aussi, la solution préconisée est sans effet sur le problème posé : d’avoir légiféré contre les “spéculateurs” n’a pas donné plus d’huile ni une pomme de terre moins chère.
Dans un contexte de remise en cause systémique, l’enjeu est historique. Le pouvoir semble vouloir ôter toute autonomie d’expression ou d’action à la société, d’une part, et mettre sous surveillance pénale ses membres et représentants les plus actifs, d’autre part. Elle est juste autorisée à agiter son soutien à l’EN. Ce qui compte, du point de vue du pouvoir, c’est de maintenir cette mise sous tension de la société qui lui facilite la répression de l’opposition à sa démarche. Car, dans son action multiforme, il ne perd pas de vue l’enjeu politique essentiel, “l’achèvement de la construction d’institutions constitutionnelles honnêtes en supprimant l’argent sale”, comme vient de le rappeler le Président. En invoquant le soutien de jeunes qui ont créé “10 000 petites entreprises”, il illustre le paradoxe de son régime : il proclame que l’aspiration de rupture est dépassée du fait de son action, mais il en reconnaît en même temps la vivacité par le fait même qu’il continue à la réprimer !
Cette mise sous tension répressive de la société a le double “avantage” d’offrir un contexte qui justifie la violence de la répression et de culpabiliser la revendication citoyenne. En proclamant qu’”il n’y a pas de démocratie avec un état faible”, le Président promeut la règle selon laquelle la force précède la démocratie et lui sert de cadre et non la loi inverse et plus vraie, selon laquelle la force d’un État est dans sa démocratie.
Par : M. Hammouche