Depuis l’ouverture, au début des années 1990, du marché algérien à l’importation tous azimuts, notre espace commercial est devenu un déversoir pour les vêtements usagés venus d’ailleurs.
Le démantèlement de l’industrie nationale du textile a incontestablement contribué à l’essor de ce négoce d’un nouveau genre. Les ballots de fringues fripées empruntent souvent des circuits détournés, avant d’atterrir sur le marché local. Tazmalt, sans doute plus que les autres pôles urbains de la wilaya de Béjaïa, est une plaque tournante du commerce de la fripe. Sa position géographique, au carrefour de plusieurs wilayas, y est certainement pour quelque chose.
Les articles d’habillement de seconde main occupent de larges espaces au marché hebdomadaire. Des étals achalandés à la en-veux-tu en voilà. Des éventaires à la pelle, encombrés de monticules de vêtements aux couleurs chamarrées. On y trouve de tout : des coiffures, des pantalons, des manteaux en fourrure ou en cuir, dont la qualité n’a souvent rien à envier aux articles exposés en vitrine.
Des tee-shirts à l’apparence impeccable voisinent avec des chemises froissées de piètre qualité. Les chaussures y trouvent aussi une place, des plus “tendance” aux plus éculées. Une forêt de mains soulèvent inlassablement, retournent et fouinent dans les tas de fringues, à la recherche d’une opportunité d’achat.
Il est vrai que les prix défient toute concurrence. “J’ai acheté cinq articles pour la modique somme de 2500 DA. C’est le quart de ce que j’aurais déboursé pour des vêtements neufs. Depuis que ce marché existe, je m’y approvisionne régulièrement, pour vêtir toute ma petite famille”, confie un jeune père de famille, venu de la toute proche commune d’Ath Mlikèche.
“Je fréquente assidument ce marché, pour lequel je réserve toujours un créneau horaire. Il faut prendre soin d’examiner les articles sous toutes les coutures. En s’armant de patience, on finit toujours par tomber sur la belle affaire. Le tout est de savoir marchander à la fin, pour conclure des achats à sa convenance”, explique un chaland, des articles sous le bras.
Ce marché est naturellement du pain béni pour les petites gens, malmenées par une spirale inflationniste sans précédent. Smicards, travailleurs précarisés, chômeurs de longue durée y trouvent leur compte. En donnant une seconde vie à ces articles usagés, ils donnent implicitement un nouveau souffle à cette activité commerciale, qui semble promise à un avenir florissant. “Nous opérons des transactions sur de grandes quantités de ballots, afin de réaliser des économies d’échelle.
Cela nous permet de pratiquer de petits prix, mais chaque dinar de rabais consenti est défalqué sur notre marge bénéficiaire”, confie un marchand de fripes, adossé à un vieux fourgon immatriculé dans la wilaya limitrophe de M’sila. Flairant le filon, bien des commerçants de la ville ont opéré une reconversion impromptue de leur raison sociale.
“Il faut bien s’adapter pour survivre. Sincèrement, en me mettant au commerce du vêtement usagé, j’ai pu échapper au naufrage”, confesse un commerçant tenant boutique au centre-ville. “Avec un pouvoir d’achat qui s’effiloche et une pauvreté qui gagne du terrain, le consommateur ne peut plus se permettre des vêtements neufs à des prix exorbitants. Nous avons régulièrement des arrivages intéressants. Le rapport qualité/prix des articles est très avantageux. D’où la fidélisation d’une clientèle et, à la clef, de substantiels dividendes engrangés”, se vante-t-il.
Un commerçant reconverti se dit convaincu d’avoir fait le bon choix, même s’il convient qu’il n’y a pas de quoi s’enrichir en vendant des “chiffons”. “En optant pour le vêtement d’occasion, j’ai fait preuve de bon sens et d’anticipation.
Beaucoup de commerçants, parmi ceux qui n’ont rien vu venir, ont fermé boutique. L’avènement de la pandémie de Covid-19, en exacerbant la crise, a accéléré la déroute de l’activité commerciale. Les rares rescapés, dont je fais partie, arrivent tant bien que mal à survivre, en attendant une probable embellie”, dit-il.
SYPHAX M.