Reportage pourtant situé non loin du chef-lieu de la wilaya de Sétif

Kharbet Belmadani, un village en marge du temps

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Faouzi SENOUSSAOUI Publié 24 Novembre 2021 à 21:17

© Liberté
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C’est une population de plus de 1 000 habitants qui vit en marge du temps, loin de ce que l’on appelle la civilisation et la vie décente. À la fin de 2021, les habitants de Kharbet Belmadani ne voient toujours pas venir de projets qui les sortiraient du tunnel.

harbet Belmadani est une mechta de la commune de Guidjel, au sud-est du chef-lieu de la wilaya de Sétif, qui n’est toujours pas raccordée aux réseaux de distribution de gaz naturel et d’eau potable. Pis encore, l’absence d’autres commodités n’encourage pas la fixation des habitants et ne donne pas envie d’investir dans l’agriculture. Les habitants de cette localité, qui n’est pas très loin du chef-lieu de wilaya, sont, depuis des années, privés des éléments primordiaux pour mener une vie décente. Des familles ont quitté les lieux ; d’autres sont restées, affrontant les difficultés au quotidien ; elles s’accrochent à la vie dans cette bourgade, vivant en marge du développement en attendant des jours meilleurs. 
“Outre l’amour de la terre de nos ancêtres, c’est l’espoir qui nous y lie et nous encourage à résister et à ne pas quitter les lieux”, nous confie Si Mahmoud, un septuagénaire natif de la région. 
En effet, le projet de raccordement au réseau de gaz naturel fait du surplace depuis des mois. Selon des habitants de la mechta qui compte plusieurs dizaines d’habitations, il était prévu  de livrer le projet au mois de ramadhan passé, une promesse non tenue. “On nous avait promis que le gaz naturel serait dans nos maisons durant le mois sacré (mi-avril 2021, ndlr)... depuis près de huit mois, nous attendons toujours”, nous explique Mohamed, un habitant de la région. 
Seules solutions : la bonbonne de gaz butane pour la cuisson, le gasoil pour le chauffage. “Cela revient très cher, c’est moins économique et moins efficace que le gaz naturel qu’ils nous ont promis depuis plusieurs décennies” , ajoute Mohamed. “Au prix s’ajoute l’embarras d’acheminer ces bonbonnes au fin fond du village”, nous déclare un autre habitant rencontré sur les lieux. 
Pour ce qui est de l’eau, chaque foyer possède son propre puits ou forage ; cependant, pendant les années où la pluviométrie est faible, ces derniers tarissent et le recours aux citernes payées au prix fort est le seul salut. 
Pis encore, la route non revêtue – une piste de pas moins de 5 kilomètres menant vers Tinner –est en piteux état. En effet, parler de route, ici, est illusoire car elle n’a jamais été bitumée, mais seulement nivelée de temps à autre par les habitants. Selon plusieurs habitants, ils payent très cher les engins loués pour rendre la route un tant soit peu praticable et éviter le pire. Difficilement carrossable, elle présente un véritable danger pour la sécurité des usagers qui peuvent y être agressés.

L’absence de transport, l’autre supplice
Le transport est aussi inexistant. Se déplacer depuis la mechta pour rejoindre le centre de Tinner est un véritable supplice. “Nous devons emprunter à pied cette piste, souvent impraticable en hiver. Ici, aucun transporteur n’ose s’y aventurer de peur de tomber en panne. Les élèves sont obligés de parcourir des kilomètres à pied pour rejoindre les bancs de l’école. Le chauffeur du bus scolaire fait de son mieux pour rapprocher au maximum les enfants de leurs domiciles respectifs, cependant il y a des périodes où la route est impraticable et il ne veut pas courir le risque de s’embourber, et de ce fait de ne pas pouvoir les transporter le lendemain”, déplore Salim, père de deux élèves scolarisés dans une école lointaine. 
L’éclairage public est l’autre casse-tête qui inquiète les habitants, car hormis les habitations sises près de la mosquée, les autres quartiers sont plongés dans le noir et n’ont jamais bénéficié de l’éclairage. “Nous ne demandons pas la lune. Nous sommes très rationnels dans nos revendications car nous avons toujours interpellé les responsables pour réaliser un réseau simple, en éclairant devant chaque maison et non tout au long de la route”, souligne Abderrahmane qui nous montre les correspondances adressées à l’édile de la commune de Guidjel. 
Il est à noter que l’absence de développement et d’équipements les plus rudimentaires pour une vie décente a contraint de nombreux habitants à quitter les lieux pour s’installer ailleurs. 
“En l’absence du minimum vital, les habitants du village quittent la bourgade pour aller à la recherche d’un endroit plus clément”, renchérit Saïd, un autre septuagénaire qui nous a révélé que ses deux garçons ont quitté la mechta Belmadani pour s’installer à Guidjel et Sétif.

L’éloignement des établissements scolaires, un autre problème 
Pour Sara, le plus grand problème dont souffrent les habitants depuis des décennies, c’est l’éloignement des établissements scolaires : “Pour le primaire, il y a deux écoles qui sont très loin. Des parents ont été obligés d’interrompre la scolarité de leurs enfants, notamment les filles, à cause du trajet entre la mechta Belmadani et les écoles primaires, dont l’école Chibout-Salah, où ils sont inscrits. Pour les deux cycles supérieurs, à savoir le moyen et le secondaire, les élèves sont obligés de parcourir plusieurs kilomètres.” Des habitants de la région nous ont confié que plusieurs filles qui ont  eu le bac ont renoncé aux études supérieures à cause du manque de transport et de l’éloignement de leur maison de la route, du centre du village, du chef-lieu de la commune ou de la wilaya.  

La santé au point mort
Côté santé, la souffrance est grande. Les quelque mille habitants de la région sont obligés de se rendre au centre de santé de Guidjel, distant de plusieurs kilomètres. Ammar affirme que pour une piqûre, il doit dépenser pas moins de 500 DA pour le transport de sa mère qui ne peut pas marcher. Cela sans parler des soins spécialisés, car outre les honoraires du médecin et le prix des médicaments, il faut ajouter la facture du transport. 
“Pour mes rendez-vous périodiques chez mon médecin traitant, je dois à chaque fois dépenser 2 000 DA en aller-retour. C’est trop !”, nous dit une autre habitante, malade chronique, habitant à 2 km de Tinner. Et de renchérir : “Je ne vous cache pas qu’ici, nous sommes enterrés vivants. Nous ne profitons pas de la vie et pour nos enfants, c’est pire. Les responsables ne font rien pour améliorer les choses. Ce bourg existe depuis des lustres et il est resté tel quel. Il n’a pas changé d’un iota.” Dans la commune de Guidjel, les médecins spécialistes se comptent sur les doigts d’une main ; se soigner nécessite de se rendre au chef-lieu de wilaya. Il est à noter que les élus qui se sont succédé à la tête de l’Assemblée populaire communale ont toujours œuvré pour mettre fin à ces anomalies, cependant ils ont tous buté sur le manque de ressources financières. L’assemblée qui sera élue à la fin du mois en cours devra redoubler d’efforts pour atténuer un tant soit peu la souffrance des administrés, en leur accordant leur part de développement tout en encourageant les activités dans cette région oubliée où vivent de grandes familles de notables de la région. 
 

Reportage réalisé par :  Faouzi SENOUSSAOUI

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