Ce fut le jour où la Révolution a trébuché, l’acte qui allait ouvrir la voie à toutes les dérives autoritaires post-indépendance. L’assassinat de l’homme de la Soummam a été un moment de rupture violente dans la marche de l’histoire de l’Algérie contemporaine. Une violence qui allait structurer durablement la vie politique algérienne et le moyen par lequel sont réglées les divergences entre frères d’armes. Le récit de la liquidation physique d’Abane Ramdane glace le sang, fait froid dans le dos, soixante-cinq ans après le crime lâchement commis dans la ville marocaine de Tétouan une triste nuit de décembre de 1957.
Si beaucoup a été dit et écrit sur cette sombre page de l’histoire de la guerre de Libération, le témoignage de Lakhdar Bentobbal, l’un des protagonistes de l’assassinat, apporte quelques nouveaux éclairages justifiant le sort tragique réservé à l’un des théoriciens de la Révolution. Pas de grandes révélations. Dans ses mémoires post mortem, celui qui fut un des membres du triumvirat de la Révolution situe le contexte historique et politique dans lequel fut prise la décision d’assassiner l’enfant d’Azzouza. Une instruction à charge. Un processus d’explication-justification a posteriori.
Le travail de restructuration engagé par Abane dans les trois principales wilayas (la Une, la Trois et la Quatre, ainsi que la Zone autonome d’Alger) était considéré par les Bentobbal, Krim et Boussouf comme un travail mettant en danger la cohésion de la Révolution. Seuls ces trois personnages - installés des deux côtés des frontières - le considéraient ainsi contre l’avis des autres membres du CCE et les politiques de la direction de la Révolution. D’évidence, toutes les “histoires” étaient mobilisées pour légitimer un drame.
L’ascension d’Abane après le succès du Congrès de la Soummam et son ascendant sur les militaires de l’extérieur posait un sérieux problème pour les trois B. Pour eux, il fallait le liquider. La raison de protéger la Révolution n’était qu’un prétexte invoqué pour masquer des ambitions de pouvoir contrariées par un Abane Ramdane décidé à renverser la table contre les planqués des frontières. S’il conteste la forme - sans procès -Bentobbal n’était pas opposé à l’assassinat. Cependant, ses mémoires ont le mérite d’apporter une part de lumière sur un péché originel. Le spectre (anza) d’Abane continue de hanter nos consciences. Il nous rappelle l’origine du mal algérien.