À quelques minutes seulement en voiture du centre-ville d’Oran, Kouchet El-Djir se décline comme le plus grand bidonville intra-muros de la capitale de l’Ouest. Plus de 50 000 âmes y vivent depuis plus de 40 ans, dans des conditions inhumaines, sans le moindre confort. Surnommé par les Oranais Kouchet El-Djir, du nom d’un ancien four à chaux construit durant la période de l’occupation française, cette “favela” n’a cessé de s’étendre depuis les années 1970
Les premiers occupants sont venus des wilayas de l’Ouest (Relizane, Tiaret, Mascara…) fuyant la misère, mais c’est durant la décennie noire que ce baraquement s’est étendu, discrètement, loin des regards des pouvoirs publics qui avaient des préoccupations plus “urgentes”. Le retour à la paix civile n’a pas freiné l’extension de ce bidonville. Bien au contraire, de plus en plus de personnes à faibles revenus, qui n’arrivent plus à trouver un toit en raison du renchérissement des logements et des loyers dans la deuxième plus grande ville du pays, viennent se réfugier dans ce site précaire. Dans ce bidonville, on construit de jour comme de nuit. Heureusement, les flancs rocheux et abrupts du mont Murdjadjo résistent encore à la voracité des squatters de tous bords.
Précarité et exclusion
En fait, le baraquement de Kouchet El-Djir a été érigé dans le ravin de Ras El-Aïn, anciennement Oued Errehi (oued des moulins), coincé entre le flanc oriental du Murdjadjo et la colline du vieux quartier d’Eckmühl, aujourd’hui Haï Mahieddine. Kouchet El-Djir est synonyme, pour les Oranais, de précarité, d’exclusion et d’insécurité. Nombreux sont les enfants de la ville qui n’ont jamais mis les pieds dans cet endroit, qui se trouve pourtant à un jet de pierre du vieil Oran. Ce bidonville s’est, au fil des années, forgé une mauvaise réputation de coupe-gorge. Il n’y a pas de poste de police dans ce baraquement qui accueille des dizaines de milliers d’habitants et les patrouilles de police s’aventurent rarement dans ce ramas de gourbis.
Kouchet El-Djir a vécu longtemps loin des regards, cachant sa misère sur les flancs de la montagne, mais depuis la mise en service de la pénétrante de Ras El-Aïn qui relie Sidi El-Houari à Oran-Ouest, ce lieu de précarité et d’insécurité surgit au grand jour. En remontant la pénétrante de Ras El-Aïn, on aperçoit un labyrinthe de baraques. Des centaines de masures de fortune collées les unes aux autres dans une anarchie indescriptible. Les bicoques s’enchevêtrent pour former un dédale dont les visiteurs ont du mal à s’extraire. Il est fortement déconseillé pour les badauds de se rendre dans ce bidonville où une mauvaise rencontre est toujours possible. D’ailleurs, hormis les habitants, rares sont les personnes qui s’aventurent dans ce bidonville qui n’abrite aucun équipement public et encore moins des lieux de loisirs.
Zone de non-droit
En marge du développement, ce lieu de misère et d’exclusion se rappelle parfois à la mémoire des Oranais par le drame d’un éboulement meurtrier qui a détruit plusieurs baraques, la tragédie d’un glissement de terrain qui a emporté des gourbis érigés au bord d’un précipice, la catastrophe d’inondations ravageuses où simplement l’horreur de crimes crapuleux. Ici, les malheurs le disputent au désespoir et les journalistes s’y rendent régulièrement à l’occasion d’éboulements meurtriers ou de faits divers qui marquent à jamais les esprits. Une jeune maman sauvagement assassinée par son ex-mari, un homme poignardé à plusieurs reprises, le cœur perforé par un objet tranchant, un groupe de pseudo-djihadistes qui prêchent la “bonne parole” avec des armes blanches… les malheurs n’en finissent jamais dans cette zone de non-droit. Les occupants de ces baraques vivent en sursis, menacés par les éboulements meurtriers et l’insécurité grandissante. Ce bidonville redoute le moindre caprice de la météo.
Construites dans un profond ravin, les baraques de fortune sont vulnérables aux averses. Des taudis sont souvent emportés par les torrents et la boue charriée par les eaux pluviales. Les Oranais se souviennent encore de la mort effroyable de la jeune Siham, une handicapée décédée suite à un énième éboulement de grosses pierres qui a écrasé la baraque de ses parents. Quelques années auparavant, une vieille dame est morte presque dans les mêmes circonstances dans son taudis érigé au pied d’un précipice, emporté par un torrent. Sa fille unique, qui venait tout juste d’obtenir son baccalauréat, a bénéficié d’un logement social, contrairement à ses voisins. Ces faits divers risquent de se reproduire à n’importe quel moment étant donné que des centaines de baraques se trouvent toujours sous des masses de rochers lézardés qui peuvent se détacher, écrasant tout sur leur passage.
L’angoisse de finir sous les décombres
Une bonne partie des occupants de ce lieu est née dans cet ancien bidonville. Ce père de famille, la quarantaine entamée, a vu le jour dans l’un des taudis de Kouchet El-Djir. Il raconte avec amertume le quotidien des occupants de ce lieu. “Nous sommes des morts-vivants. Nous survivons dans la misère totale et la peur au quotidien pour nous et nos enfants. Les rochers peuvent s’écrouler à n’importe quel moment. Quand la pluie s’abat sur la ville ou que des vents violents soufflent, nous fuyons nos taudis pour dormir dans la rue. Nous réclamons notre droit à un logement décent avant que le pire ne survienne”, appelle ce père de famille.
Les occupants des baraques construites en contrebas des parois fissurées du mont Murdjadjo vivent avec l’angoisse irrépressible de se trouver un jour ou une nuit ensevelis sous les décombres de leurs taudis. “Ils (autorités locales ?, ndlr) attendent quoi pour nous reloger”, s’interroge un autre occupant de ce bidonville, qui dénonce la politique du “relogement à géométrie variable”. Alors que les occupants de bidonvilles érigés il y a une dizaine d’années ont bénéficié de relogement à Oued Tlélat et à Belgaïd, les occupants du plus ancien baraquement de la ville sont totalement ignorés par les autorités locales. Rares sont les opérations de recasement menées dans cet endroit. Aucune opération de relogement n’est programmée pour ce site, du moins à moyen terme. Les quelques opérations occasionnelles de relogement menées ces dernières années à Kouchet El-Djir avaient été décidées suite à des éboulements meurtriers, rappelle-t-on.
Si ces demandes de relogement paraissent légitimes, les autorités locales défendent un point de vue différent. Le relogement des habitants de Kouchet El-Djir nécessiterait la réalisation de dizaines de milliers de logements mais ne résoudrait pas définitivement le problème de l’habitat précaire dans cette zone de plusieurs hectares. Elle sera inévitablement réinvestie par d’autres personnes qui y érigeront leurs baraques et réclameront de nouveaux logements.
Un “taudis” à 200 millions
Kouchet El-Djir est un lieu où les conditions de vie sont extrêmes, mais il se trouve en plein cœur de la ville d’Oran et, de ce fait, suscite la convoitise des squatters de tous bords. Les baraques de fortune font l’objet d’un trafic lucratif qui profite à des courtiers, mais surtout à des “entrepreneurs” occasionnels. Une baraque de fortune avec branchement illicite au réseau électrique est proposée à pas moins de 50 millions de centimes. Le prix de certains taudis “bien situés” peut atteindre les 200 millions, voire davantage. Ces baraques sont cédées à des prix exorbitants à des familles aux revenus modestes résignées à vivre dans cet endroit insalubre et dangereux, à défaut d’une meilleure alternative.
L’envolée spectaculaire des prix de vente du foncier à Oran a contraint les familles démunies à se rabattre sur ces baraques. Les premières bicoques de ce bidonville, reconstruites en dur, proposées à 500 millions de centimes, disposent de toutes commodités : électricité, eau, assainissement, etc. Certaines habitations situées à l’entrée du bidonville sont des constructions en R+2 avec commerces au rez-de-chaussée. Il s’agit d’anciennes habitations construites dans le prolongement de Toro, près des Arènes d’Oran, mais qui ne disposent ni d’acte de propriété ni de livret foncier et encore moins d’un permis de construire. Cet état de fait ne semble aucunement décourager les acheteurs, qui sont prêts à débourser de grosses sommes pour acquérir ces constructions illicites. Mais les acheteurs ne risquent, en réalité, pas grand-chose : dans le pire des scénarios, ils bénéficieront d’un appartement F4 quand les bulldozers viendront raser ces constructions mal acquises…
Réalisé par : A. M.