Chroniques

Zemmour n’est pas une exclusivité française

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Kamel DAOUD Publié 23 Mars 2022 à 23:24

Par : Kamel DAOUD
        Écrivain

La Mecque et sa  zone  sont  interdites  aux  non-musulmans. Un  non-musulman ne pouvait pas avoir la nationalité algérienne aux premières années de l’indépendance. C’est-à-dire un Algérien ne pouvait l’être que s’il avait une ascendance musulmane, pas algérienne. La guerre d’indépendance est depuis peu sournoisement expurgée de sa pluralité confessionnelle et politique, réduite à une croisade rétrospective, musulmane, badissia novembria : les non-musulmans n’y ont plus place dans les imaginaires. Et un ex-ministre des Affaires religieuses l’avait bien rappelé : “Un Algérien ne peut être que musulman.” 
D’ailleurs, un étranger ne peut pas acheter des biens en Algérie. Se marier avec une non-musulmane ? Il faut se convertir. Réciter la profession de foi, devant plusieurs témoins, un imam et attendre le surréaliste certificat de conversion. 
La solidarité avec les Subsahariens qui sont noirs justement avant d’être des humains ? Les Subsahariens aux ronds-points l’ont bien compris : il faut se voiler pour les femmes, brandir le chapelet ou le Coran pour les hommes et invoquer Dieu pour attendrir les solidarités sélectives au nom de la confession. Un cimetière ou un temple bouddhiste en Algérie ou au Maghreb ? Jamais ! Mais on salue la mosquée nouvelle comme un acquis communautaire des nôtres en Occident. 
En Algérie, ce courant malheureux est là. On lui fait face autant qu’on peut, des générosités essayent de contrer ce côté sombre, des âmes existent, mais le mal aussi. 
Peu à peu, à cause d’une école sinistrée, du manque de voyages et de rencontres, de la faillite de l’altérité, de la mainmise des féodalités sur les mentalités, d’un retour au Moyen-Âge au nom de la religion, de l’enfermement sur soi et de l’obsession des frontières, de la Religion du dé-colonial permanent, quelque chose de maladif a pris le dessus sur l’Algérie d’autrefois.
Pour certains, aujourd’hui, l’Algérie, c’est pour les Algériens dans la pureté religieuse, révolutionnaire, familiale, de vertu ou d’ascendance : le reste de l’humanité est constitué de gens trop pauvres pour être intéressants, ou de colonisateurs prédateurs même s’ils sont Danois ou Sibériens, et il faut les incriminer même pour nos poubelles qui débordent dans nos rues. Pour certains, nos affections et nos solidarités théoriques vont aux musulmans, “arabes”, ou aux identitaires de la même région, et pas au Rohingyas, par exemple. Ces derniers sont trop abstraits, donc pas assez musulmans. Et puis, les Chinois sont nos “amis” et donc leurs musulmans peuvent être réduits en poudre de lait, ils n’apitoieront personne ! La conception de la solidarité, pour certains d’entre nous, chez nous, c’est de la rancune retournée contre l’Occident, c’est du postcolonial par l’affect et, avec les Rohingyas, il n’y a pas d’affect, ni de parenté, ni de jalousie, ni d’aigreur : les Chinois peuvent les “évaporer”, cela ne fera pas bouger un turban ou un olivier.
Et encore ? Certains, chez nous, trouvent scandaleux (et le dénoncent à grands cris) que l’Europe soit solidaire avec les réfugiés ukrainiens et pas avec ceux de Palestine, d’Irak ou d’autres pays décédés. “Quelle honte ! Voilà l’Occident nu !” crient-ils. Procès juste, mais avec une raison qui ne l’est pas. On y ressent de la rancune masquée d’indignation, l’exploitation enfiévrée d’une occasion de se faire le contempteur de l’Occident enfin pris en défaut. L’occasion, trop bonne aussi, de faire oublier que nous faisons de même, que nos solidarités sont tout aussi sélectives et que nous aurions dû commencer aussi par juger nos propres “sélections” : ne sommes-nous pas aussi, sinon plus sélectifs ? Qu’a-t-on trouvé à dire lorsque la Turquie vidait ses quartiers des réfugiés syriens ou qu’Erdogan usait des réfugiés comme d’une monnaie internationale pour les convertir en armes démographiques contre l’Europe ? Qu’avons-nous dit lorsque les Syriens trouvaient refuge en Allemagne, pas en Arabie et ses principautés de la région, pourtant tout aussi riches ? Qu’avons-nous apporté au million de Libyens ayant fui l’effondrement de leur pays et devenus SDF en Tunisie ? Des voix se sont-elles élevées pour crier au scandale de la sélection humanitaire “arabe” qui les ignorait ? Ou le métier de “scandalisé professionnel” ne peut viser que l’Occident ? Combien de Libyens avons-nous nourris à nos tables ? D’Irakiens ? De Somaliens ? De Maliens ? Pourquoi crie-t-on au scandale si une certaine Europe réagit par l’affect sélectif aux Ukrainiens et ne trouve-t-on rien à dire si la Panarabie idéalisée sélectionne son émotion selon la confession ou la parenté raciale ou autres, selon la dechra d’origine et l’ancêtre idéalisé ? Pourquoi les pourfendeurs de l’Occident chez nous ne se sont-ils pas émus alors ? Des “Noirs” sont entassés dans des camions et reconduits aux frontières du Sud comme des criquets déchaussés ? Oui, mais la loi médiatique veut que pour que ce soit un scandale, il faut que les camions soient européens, l’expulsion occidentale. Ce n’est un scandale que lorsque c’est l’Occident qui commet le crime de reconduction...
Racisme, régionalisme, suprématisme identitaire, féodalisme, ségrégation religieuse, éloge des racines confessionnelles, refus d’accueillir, rejet des migrants noirs, interdictions diverses, judéophobie et complicité dans la théorie de la pureté “historique”. Ce sont aussi nos maladies honteuses, et pas seulement de l’Occident. Zemmour n’est pas un produit local français, c’est un état d’esprit qui se retrouve ailleurs, chez nous, en nous parfois. Des millions de Zemmour sont donc à dénoncer au “sud” du monde, là où le victimaire, le décolonisable ou le racisme confessionnel les dédouanent presque de leur monstruosité. 
L’auteur l’avait écrit et le répète : Zemmour est “Algérien” dans ce qu’il y a de pire en nous, pas dans ce qu’il y a de meilleur en nous, et le meilleur existe aussi. C’est que nous sommes, souvent, lui : nos solidarités sont souvent sélectives, nos penchants vers le proche selon la religion ou l’histoire ou la racine, nos territoires sont interdits aux altérités et aux pluralités, nous refoulons les migrants, nous refusons de porter la misère du monde, nous avons une vision de l’identité par la suprématie, nos pitiés sont élitistes, nous pensons d’abord à nous et pas aux Subsahariens ou autres, nous hurlons aux scandales des colonisations nouvelles ou des répressions internationales selon des choix et pas selon l’humanité, nous sommes souvent racistes et même entre nous, entre deux régions, deux villes, deux quartiers et même deux frères ou sœurs. 
Tout cela est une partie de nous, notre ombre majeure, nos défauts que nous voulons ignorer dans le déni ou avec cet affect du postcolonial qui ramène tout à la France ou à la colonisation. Et c’est cependant le chemin de la guérison et de la construction de l’intime et de l’universel, de la puissance confiante. Sans reconnaître nos pires défauts, nous serions encore à crier que c’est la faute des autres, et de l’Occident, et de la colonisation. 
Zemmour ? C’est ce qu’il faut vite guérir en nous avant de faire le procès des autres. 

 

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