L’Institut du Monde arabe et la Bibliothèque nationale de France ont organisé, du 20 au 22 janvier, un colloque intitulé “Oppositions intellectuelles à la colonisation et à la guerre d’Algérie”.
Ce rendez-vous d’envergure a réuni une pléiade de chercheurs, professeurs, historiens, réalisateurs et éditeurs des deux rives de la Méditerranée, afin de se pencher sur la question de l’engagement des intellectuels en faveur d’une Algérie indépendante et souveraine. Au travers de ce colloque, qui a pris ses quartiers dans les deux institutions, les interventions se sont attachées “à replacer ce conflit, qui opposa en Algérie les nationalistes algériens au pouvoir d’État français, dans le temps long de la colonisation”. Les communications sont également revenues sur “des figures emblématiques de la diversité des prises de position durant cette période, y compris sur le plan international”.
Au cours de la journée du 21 janvier, les interventions ont traité de l’engagement d’Isabelle Eberhardt, présentée par Tiffany Tavernier, romancière et essayiste ; de Frantz Fanon, une communication de Pascale Pellerin, ou encore de de Maurice L’Admiral, Albert Smadja et Pierre Popie, trois générations d’avocats d’Algérie en lutte contre l’injustice coloniale (1900-1962), une intervention de Christian Phéline. Enfin, durant la dernière journée du colloque, c’est l’engagement des artistes, nationalistes et anticolonialistes qui a été mis en avant. Catherine Milkovitch-Rioux de l’université Clermont-Auvergne est intervenue autour de la figure de Kateb Yacine. L’on pourrait situer l’auteur de Nedjma dans cette lignée des figures intellectuelles de l’“entre-deux”, a avancé d’emblée la communicante, par rapport à sa situation dans un écosystème intellectuel, culturel et linguistique, entre autres, propose à un monde structuré par le colonialisme.
Nedjma “est emblématique d’une littérature algérienne qui se donne l’indépendance comme horizon et comme projet”. Il fait partie de ce que la professeure appelle “la génération de 45”, dont la conscience politique et l’expression littéraire sont nées dans la violence perpétrée par la colonisation. Elle se manifestera dans l’ensemble de son œuvre littéraire, poétique et dramatique, et dans ses premiers écrits journalistiques. L’ancrage en faveur de l’indépendance se constitue dans le temps, à l’exemple de cette conférence consacrée à l’Émir Abdelkader à Paris en 1947. Une autre figure, celle de Mouloud Mammeri, sera ensuite étudiée par Hervé Sanson et son “engagement méconnu”. Mammeri, dans son roman Le sommeil du juste, souligne : “Le sommeil du juste c’est la préparation dans les esprits et dans les faits de ce qui devait être la révolution, ou du moins la Guerre de Libération.
C’est l’Algérie déjà engagée dans le processus de libération. On y voit la confrontation brutale entre deux sociétés ; la société européenne coloniale et la société algérienne, et la prise de conscience grandissante chez les opprimés.” Sanson est par la suite revenu sur “l’activité secrète et déterminante de Mouloud Mammeri durant le conflit”. En 1988, Tassadit Yacine, en citant le numéro d’Awal, Mammeri revient sur cette période à travers un entretien. Il y explique “avoir déjà pris conscience du régime colonial et du régime oppressif sévissant en Algérie avant la Seconde Guerre mondiale, et s’être organisé avec quelques camarades afin de former un groupe de réflexion et d’action afin de ‘faire sortir la France à sept’”. Il avance, reprend encore Sanson, “n’avoir jamais eu l’esprit de ‘parti’ et posséder la discipline nécessaire pour s’inféoder à l’organisation rigoureuse qui en découle”.
En mai 1988, Yacine s’entretient avec Tahar Oussedik, en présence de Mammeri. Responsable FLN durant la Guerre d’Algérie, Oussedik était en contact avec Mammeri, “qui pour sa part faisait partie de le Fédération de libéraux”. Les liens entre le FLN et les libéraux, ont été jugés “utiles” avance Sanson en reprenant Oussedik, “car ils gagnaient à la cause algérienne les européens”. Sous le pseudonyme de Kaddour, Mammeri rédigeait des rapports destinés à l’ONU pour défendre la cause algérienne. Plus tard, Mammeri préconisa une action sur deux fronts ; l’action militaire et politique, tout en dénonçant le “génocide” que perpétrait alors la France en Algérie.
Yasmine Azzouz