Une nouvelle escalade ferait probablement encore monter les prix des matières premières et des biens alimentaires et pousser l’économie mondiale vers un scénario de stagflation.
L’agence de notation Moody’s avait mis en garde, plus tôt cette semaine, contre des conséquences catastrophiques de la crise ukrainienne sur l’économie mondiale. Le conflit fait peser, en effet, de gros risques sur l’économie mondiale, dont les symptômes d’une dépression aiguë sont déjà omniprésents.
Outre la vague inflationniste qui submerge l’ensemble des économies avancées, émergentes et en développement, née d’une hausse exponentielle des cours des matières premières et des biens alimentaires de base sur les marchés internationaux, combinée à une dépréciation des monnaies et à des problèmes affectant les chaînes d’approvisionnement, l’économie mondiale continue de valser au rythme des mauvaises nouvelles provenant des marchés.
Lundi, à l’ouverture hebdomadaire des marchés pétroliers, les deux références mondiales ont grimpé au-dessus de 130 dollars le baril, leur plus haut niveau depuis 2008, date de la dernière crise économique qui avait mis à genoux l’ensemble des économies de la planète.
Ce bond spectaculaire de la journée de lundi est à mettre sur le compte des États-Unis, qui ont déclaré envisager l’interdiction d’importation du pétrole russe et discutaient d’une telle décision avec leurs alliés européens.
Le Brent a aussitôt atteint 139,13 dollars le baril et le West Texas Intermediate (WTI) a bondi à 130,50 dollars. Bien qu’en recul, hier, les deux indices restent élevés, proches de leur dernier sommet daté de la crise financière de 2008.
Le Brent avait atteint un niveau record de 147,02 dollars le baril le 11 juillet 2008 au milieu de la crise financière mondiale dite des subprimes, tandis que le WTI avait grimpé alors à 146,90 dollars le baril.
Si le conflit actuel opposant la Russie à l’Ukraine venait à s’intensifier dans les semaines à venir et les sanctions occidentales contre la Russie venaient à s’étendre à l’énergie, les cours du brut pourraient s’envoler davantage à des niveaux historiques, de nature à replonger l’économie mondiale dans la récession.
Dit autrement, à plus de 150 dollars le baril, la demande se détruirait et la consommation ralentirait, entraînant de facto une récession mondiale, comme ce fut le cas en 1982 et en 2009, au lendemain de la crise des subprimes. C’est dire que la perspective que l’histoire se répète est à prendre très au sérieux. Le monde pourrait être déjà au bord d’une crise énergétique majeure.
Celle-ci pourrait s’étendre ensuite à la logistique mondiale et aux systèmes de paiement et financier. Une crise énergétique entraînera mathématiquement une hausse des prix intérieurs et des coûts de production, ce qui signifie que l’inflation a encore d’importantes marges haussières.
Samedi, le Fonds monétaire international (FMI) a déclaré que le conflit russo-ukrainien et les sanctions imposées à Moscou en conséquence auront un “grave impact” sur l’économie mondiale.
“Les perspectives sont soumises à une grande incertitude ; les conséquences économiques sont déjà très graves”, a déclaré, samedi, Kristalina Georgieva, directrice générale du FMI.
Vers un scénario de stagflation ?
“Les sanctions contre la Russie auront également un impact substantiel sur l’économie mondiale et les marchés financiers, avec des retombées importantes sur d’autres pays”, a-t-elle soutenu. De son côté, la Russie a mis en garde, lundi, contre des “conséquences catastrophiques” pour le marché mondial de la mise en place d’un embargo occidental sur le pétrole russe, discuté par Washington et l’Union européenne comme mesure de riposte à l’intervention militaire russe en Ukraine.
“Il est tout à fait évident que le refus d’acheter le pétrole russe va aboutir à des conséquences catastrophiques pour le marché mondial”, a déclaré le vice-Premier ministre russe, chargé de l’Énergie, Alexandre Novak.
“La flambée des prix risque d’être imprévisible et d’atteindre plus de 300 dollars pour un baril, voire plus”, a-t-il affirmé, cité par les agences de presse russes. Deuxième plus grand producteur de pétrole, la Russie pompe plus de 10 millions de barils par jour de pétrole brut et de condensat. C’est aussi le deuxième plus grand producteur de gaz naturel au monde.
La Russie est également un important producteur de métaux, dont l’aluminium, le platine, le cuivre et le palladium, et leurs prix ont grimpé à des niveaux record en raison de la crise.
Les prix élevés du pétrole ont déjà augmenté les coûts du transport, exacerbant des niveaux d’inflation déjà élevés qui font grimper les prix des produits de base et freinent la croissance timide de l’économie mondiale, qui venait juste de se remettre de la pandémie de Covid-19.
Sur un autre chapitre, après avoir augmenté de 60% la semaine dernière, les prix du blé sont à leur plus haut niveau depuis 2008, craignant que le conflit russo-ukrainien ne perturbe l’approvisionnement mondial.
Ensemble, l’Ukraine et la Russie exportent 29% du blé mondial par la mer Noire, où de nombreuses compagnies maritimes ont suspendu leurs opérations. Pendant ce temps, les prix à terme du maïs, qui ont gagné 15% la semaine dernière, ont augmenté de 3% cette semaine, et le soja a gagné plus de 1%.
Les métaux se sont également ralliés à l’aluminium, qui a gagné 15% la semaine dernière à la Bourse des métaux de Londres, atteignant un record de 4 000 dollars la tonne.
Le nickel, qui a augmenté de 19% la semaine dernière, a progressé davantage de 17%, lundi, à 33 820 dollars la tonne. La Russie produit environ 6% de l’aluminium mondial, 7% du nickel mondial et environ 3,5% du cuivre.
L’or, considéré traditionnellement comme une valeur refuge et une protection contre l’inflation, a atteint 2 005,4 dollars l’once, lundi. Une nouvelle escalade ferait probablement encore monter les prix. Elle pourrait avoir des conséquences de longue durée et pousser l’économie mondiale vers un scénario de stagflation.
Le conflit risque par-dessus tout de réduire le PIB mondial de 1% d’ici à 2023, soit environ 1 000 milliards de dollars, et ajouter jusqu’à 3% à l’inflation mondiale en 2022 et environ 2 points de pourcentage en 2023, prévient le National Institute du Royaume-Uni.
Ali TITOUCHE