Écrire sur la fermeture de Liberté, sur sa mise à mort est un exercice difficile. Douloureux. Parce qu’il s’agit en vérité de parler “au passé” d’un pan de sa propre vie. Une tranche de vie intimement liée à la vie du Journal, à la vie du pays qui y est transmise quotidiennement. Dans une Algérie, souvent, tourmentée.
Une tranche de vie intimement liée à une époque, à des moments de joie et de tristesse, de fierté et de désillusion sur lesquels je ne m’attarderai pas, parce que resteront surtout gravées à jamais les photos de ces martyrs de Liberté accrochées à chaque étage, comme pour rappeler aux esprits oublieux le sacrifice de ces hommes pour l’idéal, le rêve et les valeurs qui ont présidé à la création de Liberté, devenu, au fil des années, une institution. Un patrimoine national. Chaque étage du siège de Liberté est un autel. Un martyr. Le témoin d’un noble combat pour une Algérie meilleure qui ne doit pas s’estomper avec la disparition de cet espace de liberté d’expression, du libre débat d’idées où se reconnaît plus d’une génération. Après des années de plusieurs expériences, souvent courtes, dans d’autres rédactions, j’atterris, comme dans une agréable surprise, une rencontre qui finit en longue amitié, à Liberté où les défis sont plus grands, les émotions très fortes. Où le passage, long ou court, laisse en la personne d’indélébiles traces. Et quelles que soient les circonstances de la séparation avec Liberté, on en sort “marqué”. Comme en ce moment de grande tristesse et d’un gros nuage d’incompréhension quant à la décision d’enterrer définitivement cet espace qui a contribué à vulgariser cette idée de l’autre Algérie rêvée par les générations de combattants et la génération post-octobre 1988. D’informer, de sensibiliser, de porter la voix des opprimés, la voix des sans-voix, la voix du peuple…
En cette douloureuse occasion, il y a dans la salle de rédaction des visages et des regards qu’on s’empêche de croise, de regarder. Ils dégagent une indicible, insondable tristesse. Des regards, franchement orphelins. Une impression qu’accentue le tour de table où chaque journaliste évoque son passage à Liberté.
Avec une poignée de mots maladroits que je bafouille, j’essaie de restituer les intenses moments que j’ai vécus en seize ans dans la rédaction de Liberté, que je vois défiler à vive allure pour quitter “ma vie intime”, pour aller peut-être se poser sur quelques âmes parmi la société, les lecteurs et les amis.
Je prends conscience, en ce triste instant, que cette séquence de ma vie n’est plus totalement mienne, ne m’appartient plus. Que je dois la partager avec d’autres. C’est une partie de l’être, de l’âme qui est tranchée sans préavis. Brusquement. La décision du patron a d’ailleurs assommé tout le personnel. Qui ne se relève encore pas du choc. Même les marques de sympathie et de solidarité qui ont afflué à la rédaction depuis l’annonce de la mauvaise nouvelle n’ont pas pu réellement dissiper le triste climat qui régnait et que le personnel portait comme un fardeau depuis plus d’une semaine.
Ainsi, dans une atmosphère maussade accentuée par un temps pluvieux, s’achève l’aventure de Liberté, emportant dans son sillage un pan de l’histoire contemporaine de l’Algérie.
Et malgré la gravité de l’instant, le collectif reste digne. Optimiste. Tentative de créer une autre ambiance, une atmosphère détendue malgré tout : on se remet à rêver d’un autre espace pour remplacer le défunt Liberté. Ce n’est qu’un au revoir, malgré la mort injuste de Liberté.
Djilali B.