Dans l’histoire politique contemporaine du pays, c’est assurément l’une des plaies ouvertes non soignée et à laquelle il faudra, peut-être, encore du temps pour apporter le remède approprié. Il y a trente ans, jour pour jour, les élections législatives donnant une victoire au courant islamiste radical ont été avortées, ouvrant la voie à une séquence douloureuse faisant plusieurs dizaines de milliers de morts. Faute d’avoir constitué un virage dans l’engagement du pays sur la voie démocratique, un tournant pour rompre définitivement avec le système de gouvernance érigé depuis l’indépendance et servir d’exemple au reste des pays arabes, cet épisode, de par les conséquences induites, a non seulement servi d’alibi pour justifier par la suite le refus d’ouverture sur la société, mais également plombé par certains égards la scène politique, particulièrement les courants politiques apparus dans la foulée de l’ouverture de 1989.
Il ne s’agit pas ici de philosopher sur la pertinence ou non de la décision des décideurs d’alors dans la mesure où l’arrêt du processus avait été appuyé par une partie de la société effrayée par la perspective de l’arrivée aux commandes d’un courant théocratique. Il s’agit de s’interroger, trente ans plus tard, sur le fait d’avoir procédé à une lecture lucide de cette séquence et tiré les leçons qui s’imposent pour asseoir des règles et des principes démocratiques sur la base desquels s’articulera la vie politique. Car il faut bien se rendre à l’évidence que si la période des années 90 n’a pas débouché sur une évolution politique notable, il reste qu’au plan idéologique et moral et même au niveau du rapport de la société à la question islamiste, beaucoup de choses ont changé.
On a pu le voir durant le Hirak : des Algériens s’opposaient à une nouvelle polarisation idéologique et plaidaient pour un changement qui ne soit pas prisonnier des clivages des années 90 tandis que d’autres invoquaient la nécessité de “trancher” les questions qui fâchent, comme la sécularisation ou l’égalité entre la femme et l’homme. Mais tous sont acquis à l’idée de l’alternance pacifique au pouvoir. Signe de mutation et de maturité. Il est vrai que la charte pour la paix et la réconciliation empêche dans une de ses dispositions, sous peine de sanctions, d’“utiliser ou d’instrumentaliser les blessures de la tragédie nationale (…)”, mais de conférer une ambition pour que le pays passe aussi par un regard serein, une lecture apaisée et un diagnostic approfondi de ce qui a failli sortir l’Algérie de l’Histoire.