Par : MOHAMED BENSALAH*
À voir la montée des populismes et des racismes rampants, on peut, sans risque de se tromper dire que l’épée de Damoclès n’est pas prête à être rengainée si les citoyens français ne se mobilisent pas assez pour contrer les partisans des doctrines poussées aux extrêmes, disséminés à travers toutes les strates sociétales.
Le dossier du racisme ne concerne plus seulement les lointaines contrées. Il hante désormais toutes les sociétés en empoisonnant pêle-mêle leurs structures et leurs institutions et en distillant la haine et le mépris. Le responsable à l’ONU (1) vient encore une fois, à l’occasion du 21 mars, Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale, de réitérer son appel en vue d’actions concrètes contre toutes sortes de discriminations. La société française n’est guère à l’abri de ce fléau comme en témoignent les dernières statistiques. Une progression inquiétante d’actes xénophobes et de persécutions vient d’être signalée par les pouvoirs publics. Les cibles stigmatisées, les boucs émissaires désignés, ce sont les étrangers et tout particulièrement les musulmans et les arabes qui font l’objet d’une suspicion tendancieuse particulière.
Le ministère de l'Intérieur français le confirme : “Les crimes et les délits à caractère raciste, xénophobe et antireligieux ont augmenté de 13% en 2021 par rapport à 2019.” La police et la gendarmerie en ont enregistré 6300, auxquels il faut ajouter 6200 contraventions, soit une augmentation de 26%. L’année 2020 n’a pas été comptabilisée, en raison de la crise sanitaire et des périodes de confinement. Les chiffres avancés ne sont guère représentatifs de la réalité, les victimes de violences verbales, de menaces et d’agressions physiques à caractère raciste, ne déposant que rarement plainte. Selon une enquête menée entre 2013 et 2018, “à peine un quart des personnes agressées déposent plainte”, précise le ministère qui souligne que “les (5720) victimes des crimes et délits à caractère racistes sont essentiellement des hommes âgés de 25 à 54 ans, avec une surreprésentation d'étrangers originaires d'un pays d'Afrique”. Les actes commis l’ont été “en raison de l'ethnie, de la nation, d'une prétendue race ou de la religion”. Les données recueillies, qui ne précisent pas si les faits relèvent d'actes antichrétiens, antimusulmans ou antijuifs, soulignent que “quatre fois sur cinq, il s'agit d'injures, de provocations ou de diffamations publiques”. Ce constat effarant, particulièrement inquiétant, résultante logique d’une démission des pouvoirs publics, n’exclut pas par le syndrome de l’irresponsabilité collective face à des structures minées. Le sursaut populaire viendra-t-il des urnes ? Les déclarations outrancières des uns et des autres, n’incitent guère à l’optimisme.
“Réveillons-nous !” écrit, le grand penseur, sociologue et philosophe, Edgar Morin, dans un ouvrage qui vient de sortir (2). À l’évidence, l’extrême droite en France est en pleine régénération. L’actuelle campagne présidentielle qui la revigore, donne des ailes aux thuriféraires qui, à l’ombre des meetings, tentent de concocter un nouveau pays avec une “immigration zéro”. Les forces nihilistes, loin d’éclairer les citoyens par une argumentation lucide et raisonnée, usent de tous les verbiages, de tous les stratagèmes, pour convaincre une population sceptique qui ne croit plus aux promesses des politiques. Les propos délirants des candidats à la magistrature suprême laissent perplexe. Ils n’aboutissent en fait qu’à dégrader et obscurcir encore plus un débat public biaisé, en transformant les agoras en espaces de réquisitoires, de dénégations et de jugements à l’emporte pièce. Toute velléité de controverse devient alors caduque. Faut-il dire adieu à la France humaniste d’antan ? Faut-il effacer des mémoires 1789 et la déclaration des droits de l’homme qui abolissait les privilèges, favorisait la liberté de culte et la souveraineté des citoyens dans la République ? Comme en 1848, et de manière cyclique, les forces du mal aux aguets tentent de réinstaurer de nouvelles “Terreurs” en contraignant les forces du progrès au silence et à l’effacement. Espérons que l’appel d’Edgard Morin ne reste pas sans écho. Ce sont des militants comme lui et Stéphane Hessel entre autres, qui font progresser les droits humains. Avec Indignez-vous, Engagez-nous et Le Chemin de l’espérance, (coécrit avec E. Morin) (3), manifestes de référence, Hessel, connu pour ses positions antifascistes, engagé dans la résistance, diplomate et rédacteur de la Charte des Droits de l’homme, a toujours témoigné du respect des droits de l’immigré, des marginalisés, des “sans papiers”, des “sans voix” et des Palestiniens. Ses livres sont devenus des porte-parole» de tous les marginalisés du monde. Et dire que ce grand militant pour la paix, la dignité et les valeurs démocratiques a été empêché de s’exprimer sur injonction du CRIF, par l’actuelle candidate à l’Élysée, Valérie Pécresse, ancienne ministre des universités.
“Haro sur les étrangers, les Arabes et les musulmans !”
“Haro sur les étrangers, les Arabes et les musulmans !”, crient à l’unisson des hordes de résidus du nazisme. Ce slogan, dicté par des hurluberlus extravagants et ressassé à satiété par leurs affidés, des obsédés névrotiques, masque mal les véritables dangers auxquels les Français sont actuellement exposés : baisse drastique du pouvoir d’achat, hausses vertigineuses des prix, difficultés d’accès à l’emploi, problèmes de logement, pour ne citer que ceux-là. Nourrissant de noires perspectives pour le pays qu’ils prétendent aimer et vouloir sortir de l’ornière, ces opportunistes prétendants aux sièges moelleux usent ostensiblement de toutes sortes d’invectives et de grossièretés outrageantes a l’égard de ceux qui ne partagent pas leurs élucubrations et leurs sombres desseins. Aucun étranger n’échappe à leur hostilité et à leur mépris manifeste. Rendus responsables du chômage, de l’insécurité et autres maux sociaux, les résidents français ou d’origine étrangère, font l’objet d’une vindicte particulière. À voir l’esprit d’intolérance qui s’enracine progressivement, on a l’impression que le code de l’indigénat de triste mémoire est toujours d’actualité et que la fameuse “Mission civilisatrice” qui a longtemps masqué les pires barbaries ne s’est guère estompée. Les nouveaux Damnés de la terre (4) ce sont les enfants et petits enfants expatriés des anciens immigrés, qui font l’objet d’asservissement et d’exploitation éhontée outrancière. Pour vivre où à tout le moins survivre, ces derniers, considérés comme citoyens de seconde zone, affrontent quotidiennement un système inique et discriminatoire odieux qui rappelle étrangement celui de l’apartheid. Et pourtant, ce sont ces migrants, toutes générations confondues, qui ont grandement contribué à la construction et au développement de la France, qui sont traités aujourd’hui de “parias” et d’“intrus” venus manger le pain des Français et profiter des soins et des allocations familiales. Comment est-il possible de permettre à ces nostalgiques de l’ère coloniale animés par une haine farouche, de sévir en toute impunité après des décennies d’indépendance? N’est-il pas pour le moins anormal que les descendants des Maghrébins et des indigènes africains expatriés subissent encore et toujours l’humiliation au quotidien ?
Il est regrettable de constater que l’image de la France des trente Glorieuses, sérieusement ternie par les événements sanglants qui ont jalonné son histoire, est aujourd’hui écornée par la résurgence du racisme, de la xénophobie et de l’antisémitisme qui la hantent à nouveau. Les Français auraient-il oublié que c’est la révolution française qui a permis de graver les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité, sur les frontons des édifices publics et que c’est la IIIe République qui a permis d’inscrire le vivre ensemble, le respect d’autrui, la laïcité et le droit à l’enseignement pour tous comme devises républicaines ? Cette situation scandaleuse est absolument insoutenable. Tout comme l’a été la période coloniale pour les ancêtres des migrants qui, non seulement ont été dépouillés de leur terre et de leurs biens mais en plus ont servi de chair à canons dans des guerres meurtrières qui ne les concernaient pas. Sans une farouche résistance aux oppresseurs durant 132 années, les colonisés vivraient encore sous le joug colonial.
À voir la montée des populismes et des racismes rampants, on peut, sans risque de se tromper dire que l’épée de Damoclès n’est pas prête à être rengainée si les citoyens français ne se mobilisent pas assez pour contrer les partisans des doctrines poussées aux extrêmes, disséminés à travers toutes les strates sociétales. En acceptant que communautés étrangères ou d’origine étrangère deviennent les cibles privilégiées des candidats à la magistrature suprême, en tolérant l’humiliation des composantes les plus fragiles de la société et en planifiant des expulsions massives du territoire, ces derniers constituent un fléau majeur.
* Réalisateur d’un long métrage sur l’immigration africaine en France (primé à Knock Le Zout. Bruxelles 1972) et titulaire d’un doctorat sur le même thème (Université Montpellier III 1979).
Notes :
(1) Antonio Guterres (Responsable à l’ONU) a choisi pour thème cette année : “Voix pour une action contre le racisme)
(2) “Réveillons-nous !”. Edgard Morin. Denoël Mars 2022.
(3) “Indignez-vous”. Ed Indigène 2010. “Engagez-nous”. Ed. de l’Aube. 2011.
“Le Chemin de l’Esperance”. Ed. Fayard 2011.
(4) Dans son dernier ouvrage “ Les Damnés de la terre”. Ed Maspéro 1961 et La Découverte, Frantz Fanon analyse le traumatisme du colonisé dans le cadre du système colonial.