La population locale est toujours sous le choc depuis que l’APC a annoncé, par arrêté, l’urgence d’évacuer les habitants et les commerçants qui occupent une bonne partie des immeubles du chef-lieu. Les services d’urbanisme pressentent “l’imminence d’un péril”, découlant d’un mouvement inhabituel du sol.
Nous sommes déboussolés. Nous ne savons plus quoi faire, surtout que nous ne comprenons pas cette décision”, nous dit Merzouk, désemparé. Cet habitant, rencontré sur la place de l’Horloge du centre-ville d’Aïn El-Hammam, à 50 km de Tizi Ouzou, est visiblement toujours sous le choc depuis que l’APC locale a annoncé, par arrêté, l’urgence d’évacuer les habitants et les commerçants qui occupent une bonne partie des immeubles du chef-lieu. Dans l’arrêté en question, l’APC, qui a pris sa décision suite à un courrier de la Direction de l’urbanisme et de la construction (DUC), laquelle direction s’est appuyée sur un rapport des services du Centre de diagnostic et d’expertise (CDE), a souligné “l’imminence d’un péril”, qui nécessite une urgente évacuation des lieux et la démolition des immeubles menacés.
Les signes de ce mouvement du sol qui risque de provoquer une catastrophe sont visibles dans une bonne partie de la ville. Le boulevard Amirouche constitue visiblement l’axe le plus touché par le glissement. Tout le long de ce chemin qui longe le marché hebdomadaire, de grosses failles sont visibles sur les trottoirs et la chaussée. À certains endroits, l’APC a même été contrainte de colmater les grosses fissures afin de permettre une circulation normale des voitures. “J’évite d’emprunter ce boulevard, à pied ou en voiture. Rien n’est sûr sur cette voie”, nous dira Mohand, un citoyen de la ville. Le mouvement du sol est également visible au pied des immeubles. “Comme vous pouvez le voir, c’est le vide qui s’est formé en bas des immeubles qui renseigne sur ce mouvement du sol. Ces fissures ne sont pas visibles à l’intérieur des maisons, car ce sont tous les immeubles qui bougent en bloc avec le sol”, poursuit-il, en pointant du doigt les restes des immeubles déjà démolis en 2019.
Cette situation était, à vrai dire, prévisible depuis déjà plus d’une dizaine d’années, période durant laquelle le glissement de terrain qui menace ne cessait de gagner en ampleur mais durant laquelle aucune mesure sérieuse n’a été prise. Après avoir fait beaucoup de bruit et fait couler beaucoup d’encre à son apparition, en 2009, puis mis aux oubliettes, voilà que ce glissement – qui concerne quelque 23 ha – en grande partie bâtis, fait encore parler de lui. Depuis quelques jours, la ville d’Aïn El-Hammam est à nouveau la proie d’un grave glissement de terrain qui risque de provoquer une catastrophe. Sauf que cette fois-ci les habitants refusent de pointer du doigt les seules forces de la nature. “Le danger réside plutôt dans le drainage des eaux et de l’assainissement. Nous estimons que notre bâtiment n’est pas menacé. La structure ne représente aucune fissure, donc nous ne comprenons pas pourquoi on veut nous faire sortir”, soutient Merzouk.
“Le problème de ce glissement est relatif à l’absence d’assainissement et à un problème de drainage des eaux pluviales. Qu’il faut dégager”, a-t-il ajouté, expliquant que les avaloirs n’ont pas été réalisés convenablement. “Tout doit être refait avec des murs de soutènement, ce qui confortera la ville. Nous ne croyons pas à cette décision. Elle n’est pas justifiée”, renchérit-il. “Si ce qu’ils disent est réellement vrai, ils n’ont qu’à nous indemniser”, a déclaré notre interlocuteur. Pour un autre citoyen, un médecin dont le cabinet est situé dans la zone du glissement, qui, lui aussi, a requis l’anonymat, cette évacuation est une décision incohérente. “C’est toute une partie de la ville qui est concernée par cette destruction”, a-t-il relevé, estimant que c’est une solution dévastatrice. “C’est une solution de facilité. Raser au lieu de chercher des solutions. Pas mal de personnes préconisent un soutènement de la ville d’Aïn El-Hammam avec des gabions géants et des murs de soutènement en banquettes pour stabiliser le sol”, a affirmé notre interlocuteur. “Aussi, les solutions que certains disent être des solutions sont un leurre. On ne peut pas recaser lorsque certains sont sinistrés depuis 2009. Ceux qui ont été évacués en 2009 n’ont pas été recasés à ce jour”, a relevé, avec désolation, notre interlocuteur.
Les premiers commerçants que nous avons rencontrés sont également plongés dans l’angoisse. “On parle d’évacuation, mais pas de notre devenir. Nos commerces constituent notre seul gagne-pain, et du jour au lendemain on nous demande de les abandonner”, ne cessent-ils de répéter, la mine inquiète. Pour rappel, le phénomène de glissement de la ville d’Aïn El-Hammam a été décelé dans les années 1950. Une vingtaine d’années plus tard, dans un rapport établi par un bureau d’études français, l’on confirme que le terrain sur lequel est bâtie la ville d’Aïn El-Hammam s’affaisse de 2 centimètres par an. Le système de drainage a été effectué à l’aide de buses 300 perforées, et enfouies à 3 mètres dans le sol. Dans l’urgence, d’autres travaux ont été poursuivis, notamment la canalisation des eaux usées et des eaux de pluie réalisée avec des buses en PHD (PVC). En 2009, un laboratoire français a été engagé afin d’étudier le phénomène. Depuis, plusieurs blocs ont été démolis par les autorités locales. Et le cauchemar des habitants continue. Le phénomène et même devenu la hantise de la population et des pouvoirs publics.
Rencontrée hier dans son bureau, la gestionnaire de l’APC d’Aïn El-Hammam, Mme Abla Aït Ouslimane, qui fait face au blocage de son Assemblée, a évoqué une situation qui frôle la catastrophe. “Depuis 2009, des démolitions ont été enregistrées et ce, selon les recommandations du Contrôle technique de constructions (CTC) et du Centre de diagnostic et d’expertise (CDE). Nous avons effectué trois opérations qui ont touché trois blocs APC-Cnep et un immeuble privé, Timsiline. En 2015, nous avons reçu un autre rapport, réalisé en partenariat entre l’APC, l’entreprise Ounoughene et l’agence foncière, pour la démolition d’autres bâtisses. C’était un bloc composé de deux énormes immeubles”, a relaté Mme Aït Ouslimane, expliquant que depuis 2009, et à chaque fois qu’une bâtisse menace ruine, elle est systématiquement démolie. Seulement, a-t-elle alerté, cette fois, la ville d’Aïn El-Hammam est confrontée à un véritable danger. “Cette fois, avec les incendies, il y a eu une évolution rapide du phénomène de glissement de la ville. Nous sommes sous le choc, comme toute la population, en raison du rapport du CDE”, a-t-elle relevé, ajoutant que le rapport en question, qui date du 28 décembre 2021 et portant le n°654, a confirmé les conclusions des anciennes expertises, affirmant qu’il y a un glissement dangereux.
“Le dernier rapport a fait remarquer l’instabilité globale du site sur lequel reposent les constructions et immeubles du boulevard Amirouche, donc le chef-lieu d’Aïn El-Hammam”, a noté Mme Aït Ouslimane. “En conclusion, le rapport a fait état d’un glissement généralisé, brutal et catastrophique, à envisager”, a-t-elle poursuivi, expliquant que dès réception de ce rapport, l’APC a déclaré l’urgence. “Avec le wali, nous avons installé des brigades pour le recensement rapide la population qui sont sur place et cela concerne tous les blocs situés dans la zone du danger”, a ajouté Mme Aït Ouslimane pour qui cette opération va toucher 26 immeubles, à savoir 11 privés et 15 blocs APC-Cnep. “Tous les blocs du chef-lieu menacent ruine”, a-t-elle insisté sur un ton désolé.
Pour ce qui est des arrêtés adressés aux habitants et des solutions de recasament demandées par ces derniers, la même responsable a expliqué qu’il est, dans un premier temps, urgent d’alerter la population afin de prémunir des vies humaines, ce qui est obligatoire, avant de passer aux solutions. “Nous sommes obligés de déclarer l’urgence. Dans les moments d’urgence, nous n’attendons pas des solutions de recasement. Lorsque nous recevons un tel rapport, nous sommes obligés de dire à la population qu’il y a danger et urgence !” a-t-elle répondu.
“Nous avons transmis les rapports nécessaires et nous attendons. Pour le moment, nous avons établi un recensement, avec des listes nominatives. C’est un travail effectué en parallèle et nous attendons les réponses. L’APC ne peut pas donner de solutions de recasement dans l’immédiat”, a fait savoir Mme Aït Ouslimane, pour qui ces arrêtés sont avant tout une procédure administrative : “C’est la loi dans le code de la construction. Lorsqu’il y a des constructions qui menacent ruine, et qu’il s’agit de vie humaine, nous n’attendons pas. Nous déclarons l’urgence et les solutions viennent après.”
“Il y a risque d’un glissement en masse. Le phénomène a évolué rapidement. Le rapport du CDE n’est pas ordinaire. C’est une alerte générale”, a-t-elle poursuivi, ajoutant qu’en tant qu’administration, l’APC d’Aïn El-Hammam est obligée de déclarer l’urgence. “Le wali a pris en considération tout ce qui a été dit dans ce rapport. Nos brigades ont effectué des fiches de renseignements et nous attendons les solutions probables, car nous sommes face à quelque chose qui nous dépasse. C’est un phénomène naturel imprévisible”, s’est-elle désolée, tout en assurant que les solutions vont venir. “Nous sommes obligés de suivre les directives”, a-t-elle affirmé.
“À mon avis les gens sont plus compréhensifs car nous avons tenu des réunions avec eux. Ils savent très bien que nous allons arriver à une telle situation. Les trottoirs sont complètement défoncés à certains endroits. Des failles sont visibles partout. Ils ont remarqué que quelque chose d’anormal arrive”, a-t-elle estimé, expliquant que nous ne sommes pas obligés d’être experts dans le domaine pour constater ces fissures. “Les arrêtés affichés seront tous notifiés aux habitants concernés. La loi est claire. Il y a une procédure à suivre, avec notamment des arrêtés d’évacuation et d’interdiction d’habiter. C’est une mesure administrative qu’il faut prendre”, a insisté Mme Aït Ouslimane, ajoutant que c’est à l’État de décider comment faire. “Pour le moment nous ne pouvons pas parler de démolition mais seulement d’évacuation. Il y a interdiction d’habiter en raison d’un péril imminent”, a-t-elle conclu.
Par : K. Tighlit