À la tête du bureau régional pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) depuis 2020, le Jordanien Ayman Youssef Gharaibeh revient, dans cet entretien, sur l’impact de la pandémie sur les réfugiés et demandeurs d’asile de la région Mena, ainsi que sur sa visite en Algérie, en février dernier.
Liberté : Quel est l’impact de la pandémie de coronavirus sur les réfugiés et demandeurs d’asile de la région Mena ?
Ayman Youssef Gharaibeh : La pandémie de Covid-19 s’est déclarée au moment même de ma prise de fonction, au mois de mars 2020, soit trois mois après mon installation, et la propagation a touché les quatre coins du monde, à commencer par l’Europe puis la région Mena. Commencer ma nouvelle mission dans ces conditions fut difficile. Nous n’avons été capables de travailler comme une vraie équipe qu’à partir de la mi-2021. Toutes nos missions sur le terrain se sont arrêtées, de même pour les missions de nos collègues du QG et le Haut-Commissariat. En tant qu’organisation qui met en valeur l’humain, nous ne pouvions travailler en ligne. Il a donc été difficile de maintenir une présence dans les camps, de faire un suivi des entretiens de ré-hébergement… Nous avons dû trouver d’autres moyens et systèmes pour garder contact avec les réfugiés. Même si ce fut difficile, il fallait impérativement maintenir le contact avec eux afin qu’ils ne se sentent pas livrés à eux-mêmes dans cette situation de crise. Des familles étaient séparées, les enfants ne pouvaient plus aller à l’école, les frontières étaient fermées, et les réfugiés que nous devions envoyer aux USA sont restés coincés à cause de cette situation. Il faut savoir également que chaque année 200 Syriens retournent dans leur pays. Bien que nous possédions un appartement pour recueillir les réfugiés, il manquait de la nourriture, des médicaments… C’est grâce à un appel aux dons que nous avons pu leur venir en aide.
De quelle manière ont-ils été accompagnés par votre bureau ?
Les aides qui nous ont été destinées au temps de la pandémie ont été en effet augmentées, en termes de financement. Nous avons bénéficié de 540 millions de dollars pour pouvoir affronter cette crise. Ces aides n’ont pas été liées directement aux réfugiés seulement, mais aussi pour assister les gouvernements, et ce, dans l’équipement des hôpitaux et l’achat des appareils de respiration artificielle. Car le secteur de la santé se trouve dans un état critique dans certains pays. Nous avons donc aidé avec des équipements et envoyé aussi des caravanes aux camps se trouvant au niveau des frontières, afin d’accueillir les personnes déplacées durant la période de confinement, car cela est notre domaine de compétence. Autre point sur lequel nous sommes intervenus, la vaccination, notamment en Libye et au Yémen qui ne disposent pas de moyens qui leur permettent d’assurer ce genre d’opération pour leurs citoyens. Alors, nous avons réservé dans le cadre d’un partenariat avec Covax (une initiative ayant pour but d’assurer un accès équitable à la vaccination contre la Covid-19 dans 200 pays, ndlr) des quotas dédiés aux zones de conflit, en l’occurrence l’Irak, la Syrie, la Libye et le Yémen. Nous avons ainsi assuré la disponibilité des différents types de vaccin existants et ce, grâce à l’alliance entre l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et d’autres organisations. Quant aux pays comme l’Algérie ou la Jordanie, les vaccins ont été rendus disponibles par leurs gouvernements respectifs. Ce qui a été remarquable durant cette période, c’est que chacun de ces pays a intégré dans sa politique le processus de vaccination globale destiné à tous sans exception, dans le but de protéger et d’aider les populations à se protéger de la Covid-19. Nous sommes bien évidemment reconnaissants pour le rôle crucial de l’Algérie, qui n’a pas fait d’exception sur son territoire. Cela reflète cet aspect positif de la solidarité et de la compassion envers les réfugiés.
Qu’en est-il de cet impact sur les pays hôtes ?
Au-delà de l’impact de la pandémie sur les pays, c’est l’impact économique sur ces derniers qui a eu un effet destructeur. L’économie a en effet été affectée dans tous les pays, ce qui a amené certains pays donateurs, comme les États-Unis et les pays de l’Union européenne, à donner la priorité à leur relance économique d’abord, avant d’apporter leur aide aux autres pays.
Concernant notre région, la même problématique se pose : tous les secteurs d’activité ont été paralysés, dont l’assistance portée aux réfugiés. Et cette paralysie demeure actuellement dans tous les pays. Je peux dire que l’impact a été destructeur pour certains pays à l’économie fragile, qui aujourd’hui sont incapables de déployer un plan de sortie de crise sur trois ans ou plus.
Prenons l’exemple du secteur du tourisme : l’Égypte, la Jordanie ou la Tunisie, des pays dont l’économie repose essentiellement sur ce secteur, sont en difficulté. Les réfugiés ont été touchés par cet impact, puisque la plupart d’entre eux sont des journaliers et dans l’incapacité d’assurer un revenu stable en cas d’arrêt de travail. Nous devrons attendre au moins cinq ans avant de voir certains pays remettre leur économie sur les rails.
Est-il possible de nous éclairer sur votre visite en Algérie, effectuée en février dernier ? Quels sont les objectifs fixés en coordination avec le HCR Algérie ?
C’est la première fois que je visite l’Algérie pour m’enquérir des besoins et des défis de son gouvernement, notamment dans les camps des réfugiés de Tindouf. Je souhaite approfondir ma compréhension de la situation à laquelle est confrontée l’Algérie, concernant cette problématique des réfugiés. Par ailleurs, et comme je l’avais souligné, nous veillons à ce qu’on ne néglige pas les autres régions en dehors des zones de conflit, car il est vrai que j’ai effectué plusieurs visites en Syrie, au Yémen et en Irak – et j’ai rencontré les Libyens au Caire –, mais l’Algérie demeure l’une de nos priorités, car elle est considérée comme l’un des plus anciens pays, qui veille sur l’accueil, l’accompagnement médical et la logistique des réfugiés dans la région arabe. Pour toutes les visites officielles, nous allons d’abord à la rencontre du gouvernement, ainsi que des responsables partenaires sur nos projets, à commencer par le ministère des Affaires étrangères et des différentes administrations. Nous essayons de comprendre leur position par rapport à certaines questions, à l’exemple de l’immigration clandestine, le devenir des camps pour réfugiés, tout en échangeant nos points de vue.
L’Algérie est l’un des pays des plus confrontés à la pression migratoire…
L’Algérie n’est pas la seule ! Nous sommes confrontés à cette problématique dans toute l’Afrique du Nord. En fait, on se retrouve piégé entre les politiques de l’Union européenne liées à la l’immigration clandestine et la pression du Sud – régions à forts courants d’immigration (Niger, Mali) – et celle du Sahel. Nous nous sommes retrouvés malgré nous au milieu de ce mouvement, qui n’est pas nouveau pour tous, puisqu’il y a toujours eu des flux de ce genre, qu’il soit du sud vers le nord ou de l’est vers l’ouest. En revanche, ce qui a changé, ce sont l’aspect sécuritaire et les craintes affichées par les politiques de certains pays.
En effet, le défi est grand, particulièrement pour la Tunisie, la Libye et l’Algérie, du fait de leur situation géographique sur le bassin méditerranéen.
Ils sont également confrontés aux politiques des pays européens de l’autre côté de la rive. Il s’agit de trouver une solution, qui consiste à reconnaître d’abord qu’il s’agit d’un mouvement historique, qu’on ne peut empêcher sans la mise en place d’un plan global et complémentaire, qui réponde aux attentes dans le Sud. Afin de résoudre ces problèmes, il faudrait, entre autres, trouver un accord avec les États de l’Union européenne et ceux du bassin méditerranéen.
Ce plan est-il d’actualité ?
Malheureusement, il n’y a aucun plan de cette envergure qui soit prévu pour le moment ! L’Algérie affronte cette problématique individuellement, tout comme la Tunisie, la Libye ou l’Égypte.
La majorité des solutions proposées ne sont pas suffisantes, et ils agissent de façon étroite loin d’un plan global, qui puisse résoudre le problème. Nous assistons aujourd’hui à une coordination entre les pays européens face à des politiques locales, des pays d’Afrique du Nord, portant une vision privée sur cette question. Alors que le Sud connaît une situation d’instabilité, le Mali est en crise et le Niger est confronté à une situation climatique catastrophique. Pour ces raisons-là, les pays devraient s’attaquer à la source du problème et trouver des solutions sur le plan de la sûreté nationale, la stabilité politique et d’œuvrer ensemble. Cependant, dans un monde disloqué, il est difficile de trouver un terrain d’entente entre les différentes parties autour d’une stratégie claire. Nous essayons de nous entretenir avec ces États afin de garder la porte du dialogue ouverte et de trouver ainsi des accords susceptibles d’atténuer la question de l’immigration. Nous gardons toujours espoir, même si actuellement d’autres questions plus sensibles prennent le dessus et deviennent prioritaires, notamment celles liées à la guerre en Ukraine. Car nous devons comprendre le monde tel qu’il est aujourd’hui, et non comme nous souhaitons qu’il devienne. La crise en Afghanistan a affecté l’opération de financement en Syrie ; la crise en Ukraine va affecter davantage cette opération dans plusieurs pays où nous activons.
Nous avons le devoir de comprendre ce monde en métamorphose, afin de rester lucides, et ce, dans le but de dessiner des stratégies plus réalistes. Nous devons, en tant qu’Arabes, nous éloigner du raisonnement sentimental affectif et penser le monde de manière plus pragmatique. C’est sur cela que nous déployons tous nos efforts. N’empêche, les solutions demeurent politiques.
Entretien réalisé par : Hana Menasria