Portrait SON PROCÈS DANS L’AFFAIRE SONATRACH ATTENDU

Chakib Khelil, l’homme qui voulait être président

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Ali BOUKHLEF Publié 17 Janvier 2022 à 00:25

© D. R.
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Après  plusieurs  années,  le  procès  “Sonatrach”,  dans  lequel  est impliqué   l’ancien  ministre  de  l’Énergie,  Chakib  Khelil,  devrait théoriquement se tenir aujourd’hui au pôle spécialisé du tribunal de Sidi M’hamed, à Alger si, bien entendu, les avocats, en grève, sont de la partie. Une occasion de remettre sur le devant de la scène un homme emblématique de l’ère Bouteflika que d’aucuns désignent de “Boutef’Boy”.

Durant deux décennies, Chakib Khelil a occupé l’arène politico-médiatique du pays, d’abord comme puissant ministre de l’Énergie et des Mines, patron de la Sonatrach, puis, durant une bonne partie de la deuxième décennie, comme une des figures controversées de la corruption d’un régime politique qui voulait pourtant faire de lui un successeur potentiel à Abdelaziz Bouteflika.

Si la vie de Chakib Khelil reste liée au règne d’Abdelaziz Bouteflika, l’homme dispose d’un pedigree à multiples facettes. Ce natif d’Oujda (Maroc) en 1939 fait partie du fameux clan éponyme. Il s’agit d’un groupe de personnalités qui s’étaient réfugiées au Maroc durant les dernières années de la guerre de Libération avant de s’emparer du pouvoir dès l’aube de l’indépendance du pays. Mais contrairement au défunt président Houari Boumediene, Abdelaziz Bouteflika ou encore Abdelhafid Boussouf, le jeune Chakib Khelil fait partie d’une promotion spéciale : celle des jeunes prodiges que les responsables ont envoyés faire des études à l’étranger pour servir l’État une fois l’indépendance acquise. C’est dans ce cadre que le jeune étudiant, dont la famille est originaire de Maghnia, s’envole pour les États-Unis pour y suivre des études supérieures. 
Comme la plupart des diplômés ayant suivi leurs études à l’étranger, Chakib Khelil retrouve le pays quelques années après le recouvrement de l’indépendance. Mais comme beaucoup, l’homme n’intègre pas immédiatement les arcanes du pouvoir politique. Il travaillera plutôt au sein de la Société nationale des hydrocarbures, Sonatrach, après sa nationalisation, et dans laquelle il gravit les échelons jusqu’à en devenir vice-président. Mais il ne reste pas longtemps en Algérie. Il retourne poursuivre son rêve américain. Il se marie avec Najat Arafat, une Palestinienne naturalisée américaine avec qui il aura trois garçons. Revenu au pouvoir en 1999 après une longue traversée de désert, Abdelaziz Bouteflika fait appel à ses vieilles connaissances marocaines. Chakib Khelil en fait partie. L’homme quitte la Banque mondiale et rejoint l’équipe de son “ami”. Celui qui s’exprimait dans un arabe moyen avec un fort accent américain, devient ministre de l’Énergie et des Mines. Très vite, il est qualifié par la presse et des partis de l’opposition comme étant “l’homme des Américains”. La réputation est peut-être surfaite. Mais les actes ne trahissent pas. À peine désigné à ce poste stratégique, Chakib Khelil entame des transformations au pas de charge. Il opère vite des changements à la tête de Sonatrach et avec l’aide d’Abdelaziz Bouteflika, il étouffe un scandale qui a failli ébranler les fondements de l’État : pour éviter un procès dont les conséquences risquaient d’être ingérables, la société Brown & Roots Condor (BRC), une joint-venture entre Sonatrach et l’Américain Halliburton, a été dissoute par décret présidentiel. Le P-DG de cette entreprise, Abdelmoumen Ould-Kaddour, ami “américain” de Chakib Khelil, est alors emprisonné pour quelques mois. Mais il sort  bien vite de prison puisqu’il sera libéré au bout de trois mois. 

L’homme de réseaux…
En 2005, Chakib Khelil a failli mettre fin à un des dogmes de l’Algérie indépendante : il élabore une loi sur les hydrocarbures qui faisait la part belle aux sociétés étrangères. Le texte, imposé par Abdelaziz Bouteflika, crée la polémique. Le chef de l’État de l’époque ne prenait l’avis que d’une seule personne : son ministre de l’Énergie. Quitte à se mettre à dos la quasi-totalité de l’opinion publique nationale. Jusque dans son propre cabinet, ce choix était contesté. Pour expliquer cette orientation controversée, il évoque, lors d’un discours mémorable prononcé le 24 février 2005 au siège de la Centrale syndicale à Alger, des pressions américaines. La loi est adoptée au Parlement. Mais coup de théâtre. Une visite à Alger de l’ancien président du Venezuela, Hugo Chavèz, chantre de l’anti-impérialisme, change la donne. Le pouvoir algérien renonce à la loi sur les hydrocarbures qui devait “aller plus loin que les Saoudiens” dans la libéralisation du secteur, comme le relevait la secrétaire générale du Parti des travailleurs (PT), Louisa Hanoune, qui fut à l’avant-garde de la lutte contre cette loi.
En plus de ses amitiés solides, tout d’abord avec Abdelaziz Bouteflika, Chakib Khelil semblait être né sous une bonne étoile. En ce début des années 2000, les prix du pétrole grimpent sur les marchés mondiaux. “La baraka fait partie de la bonne gouvernance”, ironisait le chef de l’État déchu. La période est propice aux bonnes affaires, surtout que l’ancien ministre, qui faisait la pluie et le beau temps au sein de son département, ne manquait pas de relations au sein des majors pétrolières. Pour augmenter la production des hydrocarbures et renflouer rapidement les caisses de l’État, Sonatrach passe des contrats à la pelle. Et Khelil, en bon patron, supervise tout. Il joue les entremetteurs. Le ministre ne se mouille pas. Il charge d’autres intermédiaires, des dirigeants de Sonatrach ou parfois de simples rabatteurs pour récolter la moisson. Les fonds ainsi amassés vont dans des paradis fiscaux où des comptes bancaires avaient été ouverts. Mais les Algériens, qui commencent alors à goûter aux fruits d’un retour au confort, ne se doutent de rien. Le pays voit des immeubles pousser comme des champignons, des routes réalisées dans tous les recoins et des patrons d’un nouveau genre sortant de nulle part. Ce sont les années de la “bahbouha”, de l’opulence.
Mais début 2010 clôt cette parenthèse. Les scandales de corruption, à grande échelle, éclaboussent l’entourage du clan présidentiel. Le secteur des hydrocarbures est l’un des plus touchés. Et Chakib Khelil, en véritable daron, est au centre du jeu. Les affaires deviennent tellement gênantes qu’Abdelaziz Bouteflika se sent obligé de se séparer de son homme de main. Après de graves révélations sur l’implication de son ministre dans des affaires de corruption, il consent à démettre Chakib Khelil.
À l’ombre d’un président de la République malade, les événements s’accélèrent. En août 2013, le procureur général de la cour d’Alger, Belkacem Zeghmati, rentre en urgence de vacances pour animer une conférence de presse. Il y révèle que le parquet a ouvert une enquête judiciaire dans deux affaires “Sonatrach”. Fait inédit, celui qui deviendra neuf ans plus tard garde des Sceaux, annonce le lancement d’un “mandat d’arrêt international” contre Chakib Khelil, sa femme et leurs enfants. L’annonce fait l’effet d’une bombe. Jamais dans l’histoire de l’Algérie indépendante, un ministre n’a été convoqué par la justice.
Mais les médias et les Algériens, qui assistent hébétés à ce qui s’apparentait à une révolution de palais, ont vite déchanté. Le clan présidentiel reprend vite la main. Les deux principaux responsables de la convocation de Chakib Khelil, le ministre de la Justice, Mohamed Charfi, et le procureur Zeghmati, payeront très vite ce crime de lèse-majesté. Ils seront bannis de la classe politique et les juges qui ont instruit l’affaire seront envoyés à la retraite. Commence alors une longue opération de réhabilitation pour l’ancien ministre de l’Énergie. La première séquence a été écrite par l’ancien secrétaire général du FLN, Amar Saâdani. Il loue les “compétences” de Chakib Khelil et accuse publiquement l’ancien patron du Département des renseignements et de la sécurité (DRS), le général Toufik, d’avoir orchestré cette affaire pour nuire à Abdelaziz Bouteflika. Dans la discrétion la plus totale, le mandat d’arrêt international émis contre Chakib Khelil est retiré.
Comme un pied de nez à la justice et aux Algériens, Chakib Khelil rentre au pays en 2016. Il a droit à un accueil officiel à l’aéroport d’Oran. Il sillonnera le pays durant plusieurs mois. Il donnera des conférences dans des zaouïas pour évoquer la situation économique du pays. Les médias proches du pouvoir se chargeront de redorer l’image d’un homme qu’ils avaient longtemps ternie. Il devient la vedette des plateaux des télévisions off-shore et prend sa propre défense. Il refuse d’endosser le costume de l’homme corrompu. Puis, visiblement envoyé en éclaireur, il se met dans l’habit d’un joker du clan au pouvoir.
Mais la révolte de 22 Février 2019 met fin au rêve de Chakib Khelil. L’homme s’éclipse définitivement lorsque les autorités annoncent la réouverture des procès Sonatrach. Pour l’heure, il doit couler des jours heureux quelque part à l’étranger. Les autorités parviendront-elles à mettre le grappin sur lui et le ramener ? Pas sûr. Comme son mentor sorti par la “serrure” de l’Histoire, il risque de finir ses jours, lui âgé aujourd’hui de 82 ans, sans livrer tous les secrets de sa “saga”. Mais avec une éventuelle condamnation en guise de “médaille” de fin de course.

Lire également l'article de #Liberté en cliquant sur le titre, ici: "Le procès de Chakib Khelil et l'ancien P-dg de Sonatrach reporté au 24 janvier"
 

Par : ALI BOUKHLEF

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