Liberté : La crise ukrainienne fait craindre le pire pour l'économie mondiale qui semble déjà submergée par une vague inflationniste sans précédent. Êtes-vous d'avis que ce conflit risque de se transformer en crise économique mondiale ?
Mohamed Achir : Avant même de se remettre complètement des conséquences de la crise sanitaire de la Covid-19, l’économie mondiale risque malheureusement de replonger dans une grave récession à cause des effets du conflit ukrainien, qui a entraîné un mouvement inquiétant d’envolée des prix des matières premières sur les marchés internationaux.
C’est quasiment un choc global qui affecterait sensiblement les pays importateurs, mais qui se répercutera indirectement et négativement sur les pays producteurs qui ont des économies moins industrialisées et moins intégrées.
Plus grave encore, l’inflation mondiale pourrait durer dans le temps et toucher tous les secteurs d’activité, ce qui compromettra le retour à la croissance économique en 2022. La récession économique n’atteindrait pas, à mon avis, le niveau des dégâts causés par la pandémie de 2020, mais elle affecterait différemment plusieurs pays développés et en voie de développement, surtout ceux dépendant de l’énergie. En tout cas, son impact s’étendra dans l’espace et dans le temps, si une voie de règlement rapide et pacifique ne parvient pas à contenir le conflit russo-ukrainien.
L'économie mondiale était déjà confrontée à d'importantes difficultés au lendemain du choc pandémique. Quelles sont, selon vous, les économies qui résisteraient le mieux à cette nouvelle crise qui pointe à l’horizon ?
Les chaînes de valeur mondiales ont, en effet, été largement déstabilisées à cause de la pandémie, surtout les échanges internationaux. L’envolée des prix de la logistique et de l’énergie en 2021 a touché quasiment tous les pays du monde. Globalement, la reprise a été relativement modeste durant l’année écoulée concernant la croissance et le niveau des échanges internationaux, même si certains pays ont pu dépasser la récession, dont la Chine qui a réalisé 6 050 milliards de dollars d’échanges avec le reste du monde et un solde positif de sa balance commerciale de plus de 600 milliards de dollars.
Les économies moins résilientes à la crise sont les économies moins diversifiées et moins intégrées. Les économies diversifiées, qui sont portées par une croissance endogène et auto-entretenue par la productivité des différents facteurs et l’accumulation, peuvent résister aux chocs et continuer le processus de croissance. Les pays en voie de développement, dépendant des importations, sont structurellement vulnérables et feront face à de graves problèmes ; le chômage et l’inflation galopante en particulier. Se pose aussi le problème de la sécurité alimentaire dans le monde, qui risque de s’aggraver sous l’effet du changement climatique, de la sécheresse, des conflits armés et de l’exode des populations.
L'Algérie, pays exportateur de pétrole et de gaz et importateur de biens alimentaires, pourrait-elle subir l’onde de choc d’une nouvelle crise économique mondiale ?
L’Algérie dispose encore de certaines capacités de résilience financière, mais elle doit rapidement valoriser son potentiel et diversifier son économie pour passer de la simple allocation et distribution de la rente à la production d’une offre suffisante et exportable, basée sur l’entreprise et l’innovation.
L’Algérie doit se repositionner dans l’espace euroméditerranéen et africain pour profiter d’une tendance de raccourcissement des chaînes de valeur mondiales et capter des investissements directs étrangers. La situation de tensions sur les hydrocarbures peut être favorable pour attirer des investissements importants dans ce domaine. Ce pourquoi, il faut accélérer l’exploration et l’exploitation des énergies conventionnelles et non conventionnelles, sachant aussi que, selon le GECF, le commerce mondial du gaz devrait augmenter de 45% à l’horizon 2050. Cela ne signifie aucunement que notre pays va rester dans cette vocation, mais bien au contraire, c’est pour qu’il se positionne stratégiquement dans le futur comme une puissance énergétique régionale et profite de ces ressources pour diversifier davantage l’économie et créer une compétitivité structurelle. Dans la conjoncture actuelle, je pense que l’Algérie profiterait relativement de l’augmentation des prix de l’énergie, mais il ne faut pas oublier que nous avons des déficits importants dans les comptes publics. Il faudrait attendre deux années (2022 et 2023) avec la moyenne des prix de l’énergie actuels, pour permettre à l’économie algérienne de revenir aux grands équilibres macroéconomiques et dégager des excédents.
Le gouvernement devrait, à mon avis, instituer un fonds souverain qui serait réservé au soutien exclusif de l’éducation et la recherche scientifique, la santé, les nouvelles technologies de défense et la numération. Ce fonds devrait également renforcer les capacités de résilience de l’économie algérienne, surtout dans le domaine de la sécurité alimentaire.
Propos recueillis par : ALI T.