De derrière la caméra d’où il a adapté son roman à l’écran (1982) Une femme pour mon fils (éd. Syros, 1979), Ali Ghanem s’est chevillé dans le cinéma militant et va ainsi sur l’itinéraire de Jean Gruault (1924-2015), ce novateur du concept dit de la “caméra-stylo” (kamerastilo) avec lequel ce dramaturge-scénariste a hissé le 7e art de l’industrie du sonnant et trébuchant, dit aussi le cinéma bourgeois, vers l’art tout simplement.
Est-ce Le Mektoub ? (1970). Quoi qu’il en soit d’un choix ou d’une destinée, Ali Ghanem s’ôte ainsi du film dit “le vieil Hollywood” et de sa continuité classique pour y être dans le cinéma d’auteur. Et dans cet ordre d’idée, autant dire qu’il (Ali Ghanem) a réussi le challenge d’occuper la scène de l’image mais aussi de l’écriture qu’il a argumentée à l’aide de l’œuvre livresque qu’il a intitulée Conversations méditerranéennes, parue aux éditions Casbah à l’occasion de la réouverture du Salon international du livre d’Alger au titre de sa 25e édition.
À y lire l’intitulé Conversations méditerranéennes, l’esprit du lecteur y vagabonde aussitôt vers la nonchalance mais aussi vers la palabre qui désigne la particularité représentative de l’Algérien hilare et débonnaire.
Seulement il ne s’agit ni d’un brin de parlote de bistrot ni de l’inertie ou de la mollesse au bord de la grande bleue, mais de causeries avec d’illustres personnalités d’ici et parfois même d’ailleurs pour y trouver de l’issue aux crises qui assombrissent le pays.
Reste que le livre d’Ali Ghanem est un diaporama de l’“info” de rattrapage de l’actualité autour de personnalités d’horizons divers peu ou prou célèbres qu’a immortalisées l’auteur de L’Autre France (1977) au cours de ses audiences et de face-à-face avec des gens qui restent tout de même l’œil témoin de leur temps. Dont l’interview fleuve (de la page 15 à la page 29) avec l’ancien président du Front des forces socialistes (FFS), le défunt Hocine Aït Ahmed (1926-2015), réalisée du temps chaud bouillant où la situation du pays était au sauve-qui-peut, à l’orée de la décennie rouge (1990).
D’ailleurs, il y fait bon d’y aller sur l’itinéraire de l’enfant d’Ath Yehya (wilaya de Tizi Ouzou) qui déplorait qu’il n’y avait pas d’amitié entre les hommes politiques : “L’amitié est quelque chose d’indispensable. Cela fait partie des relations solides qui doivent ancrer les individus dans la vie. Cela devrait être plus vrai encore, s’agissant des hommes politiques qui ont tendance à ne concevoir les rapports avec les autres qu’en termes d’instrumentalisation, d’utilité” (page 15).
Dans cette perspective, Conversations méditerranéennes se veut un condensé de l’actualité d’une époque intemporelle mais aussi d’une cascade d’événements d’un passé récent qui meublaient les unes de la presse nationale.
Est-ce un bilan de carrière de cinéaste ou un inventaire d’une vie de derrière la caméra ? Quoi qu’il en soit, l’œuvre à “cœur ouvert” d’Ali Ghanem n’est que justice puisqu’elle offre au lecteur “non-parabolé” le loisir de lire ce qu’il n’a pas visionné sur le petit écran. “Il m’a semblé que tous ces témoignages présentent un intérêt historique et humain, d’où l’idée de les compiler”, écrit Ali Ghanem en guise d’avant-propos.
En bref, tout y est au fil des pages de Conversations méditerranéennes où l’auteur de Chacun sa vie (2019) donne la parole au professeur Kebir Mustapha Ammi à l’issue du colloque du 1er au 7 avril 2001 consacré à saint Augustin d’Hippone (354-430), ce philosophe et théologien chrétien qui s’est tenu à Annaba sous le thème “Augustin et africanité”.
Conséquemment à ces vestiges de l’investigation qui restent d’actualité, l’album d’interviews remasterisées se doit d’être feuilleté par nos jeunots pour qu’ils puissent (re)vivre la récréation qu’avaient vécue les adultes-séniors lors de l’ouverture démocratique et tumultueuse d’une Algérie qui vivait les premiers balbutiements d’une démocratie annoncée au lendemain du “chahut de gamins” des émeutes du 5 octobre 1988.Pour tous ces motifs, l’œuvre d’Ali Ghanem est d’utilité historique.
LOUHAL Nourreddine
Conversations méditerranéennes,
d’Ali Ghanem (ed. Casbah, mars 2022),
413 pages.