Ouacifs, dans la wilaya de Tizi Ouzou, lui a ouvert les bras, il y a laissé son cœur. De sa lointaine Norvège, Egil Magne Hovdenak n’hésite pas, une fois de plus, à le faire savoir. Seulement, cette fois, non pas à travers des lettres à ses anciennes connaissances comme il était habitué à le faire, mais à travers tout un livre qu’il adresse à ses amis de la montagne. Un concentré d’émotions et de souvenirs qui témoigne de cette relation si particulière, si fraternelle et amicale, qu’entretenait ce Norvégien avec les habitants de cette localité adossée au majestueux Djurdjura.
En cette froide et pluvieuse matinée de vendredi, les habitants des Ouacifs pouvaient naturellement profiter, comme tout le monde, d’une grasse matinée mais il n’en fut rien. Il n’était que 9h et la bibliothèque communale Mohia, au chef-lieu de cette localité de la wilaya de Tizi Ouzou, grouillait déjà de monde. Méticuleux, les organisateurs — à savoir les membres du collectif du Salon du livre amazigh des Ouacifs — veillent au grain. Des jeunes filles parées de leurs plus beaux atours, des anonymes, vieux et jeunes, se bousculent pour trouver une place dans la salle de conférences. Sont présents aussi les présidents des APC des Ouacifs et d’Aït Toudert. Ces préparatifs témoignent de l’importance de l’événement prévu : l’accueil de Son Excellence l’ambassadeur de Norvège. Mais, à vrai dire, c’est son accompagnateur, le fils du grand ami des Ouacifs, qui est au centre de cet intérêt si particulier. Quelque peu écrasé par le poids de ses 90 ans, Egil Magne Hovdenak n’a finalement pu exaucer son vœu, aussi vieux que cher, de revisiter cette région et revoir ses “amis de la montagne” qui, comme l’écrivait-il dans son livre, ont donné un sens à sa vie. C’est donc son fils, Are Hovdenak, qui est venu à la rencontre des habitants des Ouacifs.
Dans la salle de conférences de cette bibliothèque qui ne paye pas de mine, il faut être un étranger à la région pour ne pas comprendre la portée de l’accueil triomphal réservé à ce Norvégien. Un Norvégien que les plus âgés ont connu enfant, car Are Hovdenak est né au village d’Aït Abbas et il y a même fait ses premières classes. “C’est un moment émouvant de revenir dans cette région. J’ai vécu cinq ans ici, à Zoubga, avec mon frère et mes deux sœurs dans les années 1960. J’ai plusieurs amis ici. Aujourd’hui, je suis très heureux de revenir dans cette région”, a lâché, ému, Are Hovdenak avant de transmettre la grande tristesse de son père qui n’a pu être du voyage. Une tristesse d’autant plus compréhensible lorsque l’on lit le mot adressé par l’auteur du livre aux habitants de la région, “À mes amis de la montagne, vous qui m’avez fait confiance et m’avez reçu comme un ami. J’étais étranger, vous m’avez reçu comme l’un des vôtres, salué d’un geste de la main sur le cœur en signe d’amitié, partagé avec moi votre humble demeure, une poignée de figues, un morceau de galette, le pain sec de la montagne trempé dans de l’huile d’olive tiède, le thé à la menthe, le couscous, vos réflexions sur le monde et la famille humaine, la vie et la foi… L’amitié ne meurt pas, elle se transmet aux générations nouvelles. Je dédie ce récit à la mémoire de vous tous qui avez donné un sens à ma vie et partagé avec moi le rêve d’une existence libre et digne”, a écrit Egil Magne Hovdenak dans son livre, édité par les éditions Dalimen et traduit vers le français par Hélène Celdran. À travers ce message qui n’a pas manqué d’émouvoir la population locale, le Norvégien laisse apparaître toute la profondeur de son attachement à la région.
Mais d’où vient donc ce lien aussi fort, peut s’interroger tout étranger à la région.
Egil Magne Hovdenak a 25 ans lorsque, en objecteur de conscience, il veut travailler pour la paix. Il se rend alors en Kabylie pour la première fois en 1952. Frappé dans ses profondeurs par la vie dans la région, de retour en Europe, il s’est mis à préparer les plans de travail à venir en collaboration avec des représentants des autorités algériennes en exil dans les pays nordiques. Formé au développement communautaire, convaincu que la charité ne suffit pas et que seul un travail sur un pied d’égalité avec les habitants permet une évolution à long terme, Hovdenak revient en Algérie, sous la régie des Quakers, dès l’indépendance. Il est alors l’un des pionniers dans l’aide au développement. À titre bénévole, Hovdenak met en place une aide sanitaire dans une dizaine de villages de Kabylie, notamment à Ouacifs où il a fini par s’installer jusqu’à la fin des années 1970. Une période où il se lie d’une indéfectible amitié avec la population, dont les plus âgés se souviennent comme si cela datait d’hier et les plus jeunes l’ont appris de leurs pères et grands-pères.
Aux Ouacifs, avec les Hovdenak c’est la grande amitié, une affaire de famille. Sortie meurtrie du colonialisme, anéantie par la guerre, la région a trouvé en Hovdenak l’allié inespéré pour reconstruire et se reconstruire. De la reconstruction des habitations d’Ath Abbas à la réalisation de la maternité de Souk Letniène et la mosquée de Larbaâ, en passant par la réalisation de châteaux d’eau pour assurer aux habitants l’eau courante, les réseaux d’assainissement, la formation au profit des jeunes et des femmes rurales, l’assistance au développement de l’artisanat et de l’activité agricole…, le Norvégien a visiblement laissé des empreintes indélébiles dans la région.
“Magne Hovdenak a été parmi les premiers Norvégiens à s’imprégner de et dans l’Algérie indépendante. Dès son arrivée, il a constaté les grandes destructions causées par la guerre en Kabylie. Cette région d’Algérie avait besoin d’un soutien, alors il voulait agir mais de façon intelligente. Hovdenak a été l’un des pionniers du développement communautaire. Il souhaitait une relation de développement entre des partenaires égaux, une approche devenue aujourd’hui la norme internationale dans la coopération et le développement”, a souligné Son Excellence l’ambassadeur du royaume de Norvège, Knut Langeland, soulignant que celui qui allait devenir le grand ami des Ouacifs avait toujours mis l’accent sur la compréhension des besoins de la population locale, puis sur la conception de projets en étroite collaboration avec elle. “Ces projets s’inscrivaient toujours dans les plans nationaux de développement et les relations avec les autorités algériennes étaient d’une grande importance. Pour réussir, il faisait preuve de grandes qualités diplomatiques, d’empathie et d’une volonté de vivre au quotidien avec la population de Kabylie”, a-t-il encore ajouté, affirmant que Hovdenak était “un homme en avance sur son temps” tant, a argumenté l’ambassadeur, il a toujours considéré que l’éducation était indispensable pour favoriser le développement, permettre aux habitants d’obtenir leur autonomie financière et former leur propre avenir. “Cela n’a pas été facile par la suite en raison d’événements multiples, mais la famille Hovdenak constitue, aujourd’hui, une partie importante de l’histoire commune entre l’Algérie et la Norvège”, a jugé Knut Lengeland.
Aux Ouacifs, en tout cas, la rencontre de vendredi a dévoilé plus qu’une histoire commune : une grande amitié. Les témoignages, les photos-souvenirs, les anciennes lettres jalousement gardées et les échanges entre Are Hovdenak et les habitants qui ont eu à côtoyer son père ont suscité de fortes émotions. Jusqux larmes parfois. Le jeune Norvégien n’était soudain plus l’étranger qui venait d’arriver parmi une délégation étrangère, mais plutôt l’enfant prodige du village de retour au bercail.
Tout comme Son Excellence l’ambassadeur de Norvège, Are repart vêtu d’un burnous, geste de gratitude et de reconnaissance connu aux populations de Kabylie.
Le périple qui a suivi, dans l’après-midi, à travers les villages de la région, dans la maison qui a vu naître Are Hovdenak et ses frères, et les projets réalisés par leur père n’a pas été moins émouvant. Au village d’Ath Abbas, où hommes et femmes se souviennent comme si c’était hier de cette famille, c’est carrément un accueil triomphal qui a été réservé à la délégation.
“La rencontre a été forte par ses émotions, mais surtout par la force du message d’amitié, de fraternité et d’entraide qu’il y a eu durant les années 1960. Cela met en évidence tous ceux qui nous ont aidé à nous remettre debout et parmi eux Hovdenak, qui n’était pas dans une relation de riche à pauvre mais dans une relation d’égal à égal, d’entraide et d’humanité. Et c’est cette amitié que nous voudrions faire revivre à travers cet événement”, nous explique Hacène Halouane, le commissaire du Salon du livre amazigh des Ouacifs, qui a organisé la rencontre. “Cette rencontre est aussi l’expression d’une forme de gratitude et de reconnaissance à l’œuvre et à l’humanisme de cet homme qui a marqué de son empreinte cette région qui l’a d’ailleurs adopté”, a ajouté, pour sa part, Hakim Saheb, qui a participé à l’organisation de ces retrouvailles riches en émotions.
Réalisé par : SAMIR LESLOUS