Garde forestier, devenu auteur à succès en défendant les arbres envers et contre tout, l'Allemand Peter Wohlleben vend des best-sellers, donc du papier... mais il pense que nous consommons trop de bois.
Le paradoxe ne lui a pas échappé. Dans Le Siècle des arbres (éditions Les Arènes), paru en français jeudi, il écrit entre autres qu'une priorité pourrait être de fabriquer moins de papier toilette, lequel “peut être considéré comme le talon d'Achille de la civilisation moderne”.
Et “si nos forêts n'étaient plus en état de fournir suffisamment de matière première pour satisfaire à tous nos besoins, personnellement j'opterais pour un nouveau type de toilettes ïavec douchette et brosseû afin qu'on puisse utiliser le papier pour fabriquer des livres”, poursuit-il.
L'hypothèse paraît catastrophiste. Mais la rapidité du changement climatique fait que la tendance récente n'est pas bonne, d'après ce qu'il observe dans sa région de l'Eifel, au sud de Cologne (ouest de l'Allemagne). Le Siècle des arbres raconte ainsi comment sa forêt, celle où il travaille, a mal vécu trois étés extrêmement secs entre 2018 et 2020. Si elle s'est adaptée, elle en est ressortie plus vulnérable.
Revenir en arrière
Son credo est dans le sous-titre du livre : “Comment la forêt nous sauvera si nous la laissons faire”. Cela imposerait entre autres, selon l'ingénieur forestier, d'allonger la durée de vie de nos arbres, en cessant de voir le bois comme un matériau écologique. Il l'est plus que le plastique, mais moins que d'autres. Pour les sacs de supermarché par exemple, mieux que le papier kraft, “une solution serait la jute”, issue d'une herbacée, selon Peter Wohlleben.
Au moment où les experts climat de l'ONU (Giec) donnent trois ans à l'humanité pour inverser la tendance des émissions de CO2, ou être exposée à un réchauffement insoutenable, lui se refuse au fatalisme.
“J'aime l'image de la randonnée en forêt: quand on est perdu, il faut s'arrêter de marcher dans la mauvaise direction. Nous avons ralenti notre marche. Et même si le chemin du retour sera long, il n'est pas trop tard pour revenir en arrière”, plaide l'Allemand.
C'est aussi son histoire personnelle. Formé à la sylviculture, il avait fini par se “sentir mal en coupant des arbres avec des machines lourdes ou en pulvérisant des insecticides”. Il s'est reconverti en partisan de l'autogestion pour les forêts.
“Nous pensons être meilleurs”
Vulgariser sa science des feuillus et conifères est, au départ, une idée de sa femme. “Elle faisait des visites guidées depuis une trentaine d'années, et on lui demandait toujours s'il y avait un livre. J'ai refusé de l'écrire pendant des années. Et puis un jour je m'y suis mis”, raconte-t-il à l'AFP lors d'un passage à Paris pour promouvoir son dernier livre.
C'était alors, en 2007, un plaidoyer pour une forêt sans chasseurs ni industriels, libre de se développer selon son gré. Il signe ensuite une quinzaine d'ouvrages, sur des thèmes parfois techniques comme un réquisitoire contre le développement de la biomasse dans l'énergie. “Ils se vendaient correctement”, se souvient Peter Wohlleben. Rien de comparable avec le succès international de La Vie secrète des arbres, publié en 2015 en allemand, traduit en une trentaine de langues (dont le français en 2017).
Cette diffusion a l'avantage, selon lui, de montrer au monde que les Européens ne gèrent pas beaucoup mieux leurs forêts que des pays comme l'Indonésie, le Brésil ou ceux d'Afrique. “Nous imposons les mêmes mauvais traitements à la nature. Mais nous pensons être meilleurs, ce qui n'est pas vrai.”
AFP