Le long d'une rive balafrée par la déforestation, Joseph Mwandenge Mangi désigne un palétuvier solitaire, espèce d'arbre autrefois abondante dans l'estuaire où le puissant fleuve Sabaki rencontre l'océan Indien : “C'est le dernier. Il n'y en a plus.”
Pour les habitants de cette zone de la côte orientale du Kenya, cet arbre miraculé est un rappel du travail à mener pour retrouver l'équilibre naturel brisé par des décennies de surexploitation. Durant des générations, les communautés locales ont puisé dans les richesses naturelles offertes par le Sabaki: bois, bois de chauffage, eau douce, fruits de mer, terres agricoles fertiles, plantes pour la médecine traditionnelle...
Entretenue, cette zone humide côtière recèle de nombreux atouts face au changement climatique: stockage du carbone, filtrage de la pollution de l'eau, protection naturelle contre les phénomènes météorologiques extrêmes et la montée du niveau de la mer.
Mais des années d'exploitation incontrôlée ont infligé de terribles dégâts aux mangroves, vasières, bassins d'eau douce et dunes de sable qui jalonnent l'embouchure du deuxième plus long fleuve du Kenya. Le bois de mangrove – utilisé de manière durable pendant des siècles pour construire des maisons traditionnelles swahili – a été massivement utilisé pour soutenir l'essor rapide des villes, comme la cité balnéaire voisine de Malindi. Pour pêcher, les habitants ont notamment utilisé des moustiquaires qui ont piégé jusqu'à la plus petite des espèces marines.
Allié naturel
“Le paysage a changé. À l'époque, nous avions une immense forêt avec des éléphants et des singes”, raconte Francis Nyale, un des chefs communautaires âgé de 68 ans, debout au milieu d'une clairière de souches de mangrove noueuses.
Un peu plus loin en aval, là où les eaux brunes du Sabaki rencontrent les vagues bleues de l'océan, une équipe de bénévoles plante de jeunes arbres de mangrove le long de la rive. Depuis plusieurs années, des habitants ont choisi de redonner vie, arbre par arbre, à l'estuaire meurtri.
Ils en ont planté des dizaines de milliers, oeuvrant à la renaissance de forêts, estime Francis Kagema, le coordinateur régional du groupe de protection de l'environnement Nature Kenya. Et ces efforts donnent de premiers signes de réussite. Accroupi au milieu d'un bosquet d'arbres, Francis Kagema montre des grappes de minuscules pousses vertes jaillissant du sol sombre, preuve d'une régénération naturelle, d'un écosystème en voie de guérison.
“S'agissant des mangroves, leur capacité à se relever (...) et à repeupler leurs zones d'autrefois est assez encourageante”, souligne-t-il. Les mangroves sont précieuses pour la planète: leurs arbres peuvent absorber cinq fois plus de carbone que les forêts terrestres et agissent comme une barrière contre les tempêtes et l'érosion.
Protéger les mangroves coûte 1000 fois moins cher au kilomètre que de construire des digues, selon le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), qui parraine le projet de restauration du Sabaki.
“Des zones humides saines – cruciales pour atténuer le changement climatique, pour la biodiversité, la santé et la prospérité humaines – rapportent bien plus qu'elle ne coûtent”, estime Leticia Carvalho, coordinatrice principale du PNUE pour les eaux marines et douces.
Diplomatie locale
Au-delà des bénéfices environnementaux, elles offrent des avantages économiques. Selon le PNUE, un hectare de mangrove peut fournir l'équivalent de 33 000 à 57 000 dollars par an (30 000 à 52 000 euros) de services économiques.
À Sabaki, les guides locaux complètent leurs revenus en amenant visiteurs et groupes scolaires observer les hippopotames et les oiseaux qui peuplent l'estuaire. Des travaux sont également en cours pour améliorer les installations touristiques et développer l'apiculture traditionnelle.
Convaincre les quatre villages des environs de l'estuaire de l'intérêt de défendre l'environnement nécessite de la diplomatie, souligne Joseph Mwandenge Mangi, qui dirige un groupe communautaire de protection de l'estuaire. Ils travaillent avec les pêcheurs pour qu'ils abandonnent les pratiques non-durables et les gardes forestiers bénévoles qui surprennent des bûcherons dans l'estuaire gèrent les infractions en interne pour ne pas braquer les populations.
“Nous ne les emmenons pas à la police. Nous leur parlons. Nous voulons qu'ils comprennent qu'il y a quelque chose de bénéfique dans ces arbres plutôt que de les couper”, explique Mangi. Selon Jared Bosire, chef de projet dans un groupe de protection de l'océan Indien baptisé Convention de Nairobi, la communauté du Sabaki fait la preuve que les approches locales de défense de l'environnement apportent des bénéfices mutuels.
“Nous avons l'espoir que les leçons tirées pourront être reproduites ailleurs”, estime-t-il. Plus de 80% des mangroves ont déjà disparu le long des parties occidentales de l'océan Indien. “Si nous n'avons pas ces arbres, affirme Mangi, nous perdons notre patrimoine.”
AFP