Un homme ou une femme de 45 ans qui est très consciencieux dans son métier, très investi, qui travaille beaucoup, tel un comptable ou un juriste, qui arrive à une période de surmenage, de stress, parce que c’est quelqu’un qui veut toujours bien faire et qui se met la pression c’est là le détail psychologique important.
Ce personnage va se rendre compte que dans un moment de contrariété, ou que ça ne marche pas comme il veut : la famille, le boulot, ou les deux en même temps, une sorte de cumul* de surcharge, il commence à ressentir dans son oreille un bourdonnement grave ce qu’on appelle bruit de coquillage (le mot de Prosper Ménière lui-même était en conque marine). Un quart d’heure après, le bruit devient de plus en plus intense.
Il ressent comme de l’eau dans l’oreille. Il sent une plénitude d’oreille, une oreille sous pression. Et puis, tout doucement, il perd l’équilibre. Et il se dit : j’ai mal au cœur : ai-je mangé quelque chose qu’il ne fallait pas ? Il incrimine souvent un repas et finalement, il voit bien que ce n’est pas cela. L’oreille qui bourdonnait devient sourde… et voilà que ça tourne de plus en plus fort, il se dit il faut qu’il aille se mettre au lit… et ça tourne, ça tourne, ça tourne et puis ça tourne sans s’arrêter pendant un quart d’heure ou plus. Il s’endort et quand il se réveille, l’oreille est devenue moins sourde. Il y a un petit sifflement aigu, et c’est fini. À la première crise de ce genre, il ne se rend pas compte que c’est l’oreille, il va incriminer toutes sortes de choses, surtout l’alimentation.
Et à la deuxième crise, il va se rendre compte que c’est l’oreille et là, c’est la seule oreille, toujours la même oreille qui bourdonne, pas la deuxième. C’est l’oreille qui rend malade et qui fait vomir.
En 1860, le docteur Prosper Ménière découvre que c’est une maladie due à une pression de l’oreille, il a publié 6 cas, c’était la révolution de l’époque, car on pensait que c’était dû à une attaque cérébrale. L’hypertension de l’oreille est appellée hydrops (trop d’eau, trop de pression).
Comment la diagnostiquer ?
Une IRM qui permet de voir cette hypertension de l’oreille interne, qu’on appelle 3 Tesla, un champ magnétique très fort, 4 heures après une injection de Gadolinium.
L’examen de l’oreille permet de comprendre qu’il s’agit d’une surdité sur les fréquences graves, ce n’est pas une otite, non plus ni un bouchon de cérumen. Ainsi, on a la certitude que c’est l’oreille interne. Pour les vertiges, on met de l’eau chaude puis de l’eau froide dans l’oreille, et on se rend compte que c’est du côté de cette oreille sourde que l’organe de l’équilibre marche moins bien. On examine les yeux du patient dans le noir avec des lunettes à infrarouge, puis on voit que les yeux bougent tout seuls : c’est le nystagmus.
Cet examen en urgence permet de voir que c’est bien cela : on a affaire à quelqu’un qui a la maladie de Ménière. Mais lorsqu’il y a un doute, on parlera alors de vertiges de Ménière, c’est-à-dire tout ce qui y ressemble un peu, mais pas tout à fait ça et là, il y a plein de variantes, il y en a une vingtaine ou une trentaine, ce qui fait que la maladie de Ménière, ce n’est pas une maladie fréquente, ce sont 6% de tous les vertiges qu’on voit dans les cabinets comme le mien à Paris, c’est-à-dire un par jour, pour chaque spécialiste du centre.
Comment évolue la maladie de Ménière ?
Quelquefois la maladie de Ménière se bilatéralise, c’est le deuxième côté et là, ça devient un drame. Quelques années plus tard, le patient connaît une autre manifestation de la maladie de Ménière, ce sont des drop-attacks : le patient tout à coup s’écroule mais sans perdre connaissance ; il n’y a plus les signes avant-coureurs, l’oreille pleine, l’oreille qui bourdonne.
Ici, tout à coup, le patient tombe et ça devient un drame, car cela peut arriver au volant de la voiture ou dans les escaliers en montant et donc tomber en arrière. Mais aujourd’hui, on sait mieux guérir cette maladie.
On anesthésie le conduit de l’oreille et on injecte de la cortisone dans l’autre côté du tympan, et là on arrive à calmer la maladie et arrêter le processus. C’est un grand progrès médical
D'origine encore mystérieuse, la maladie de Ménière évolue par crises d'intensité et de fréquences variables. Quelle sont les causes et les facteurs de risque ?
Les vraies causes, nous ne les les connaissons pas. Il y a sans doute le stress dont les trois hormones qui y sont liées sont l’adrénaline, la prolactine et l’hormone anti-diurétique (la vasopressine).
C’est le cas des personnes qui vivent sous pression.
Quels sont les symptômes de la maladie de Ménière ?
- Bourdonnement d’une seule oreille.
- Plénitude de la même oreille.
- Une surdité toujours sur la même oreille.
- Crises de vertiges qui vont durer plus de 30 mn.
- Une intolérance aux sons forts (une oreille qui déforme les mots).
- Une impression d’entendre une voix de robot.
Existe-il un traitement pour cette pathologie ?
Il n’y a pas de traitement pour la guérir, mais pour la faire reculer comme pour la migraine, on ne peut la guérir, on essaye de la contrôler.
Mais il y a des gens qui en sont guéris. Ils me fascinent à chaque fois parce qu’ils ont trouvé la réponse. Ce sont des gens très sages et qui ont compris que ce qui leur donnait tant de soucis, c’est fini maintenant, ça ne nous rendra plus malade. Je suis à l’écoute de ces gens-là et de comprendre leurs histoires de vie et comment ils sont arrivés à se sauver eux-mêmes, ils étaient malheureux et ne sont plus. La règle d’or est d’aider le patient à ne plus penser à sa maladie.
Vous êtes chercheur et une référence mondiale des vertiges, où en est la recherche ?
La recherche la plus actuelle est de comprendre que c’est une maladie inflammatoire. C’est peut-être une sorte d’allergie contre soi-même, comme un rhumatisme de l’oreille interne comme un rhumatisme qui gâche la vie des gens, on instaure des traitements de choc très forts, les Anti-TNF. Arrêter de se battre contre son oreille.
Bien entendu, ce n’est pas évident, mais dans les cas les plus graves, on hospitalise le patient, on fait des tests et on les soigne avec des médicaments très puissants, et cela pour sauver la deuxième oreille car quand celle-ci est atteinte, cela devient plus compliqué, il faut donc vite envisager une solution.
Il peut-être difficile pour ces patients d’exercer une activité professionnelle et de participer à la vie familiale. Quelles sont les conséquences de la maladie sur la vie familiale, professionnelle et sociale ?
Ce qui gâche la vie du patient, c’est la peur que ça recommence encore une fois… Et si ça m’arrivait au volant ? Et si ça m’arrivait dans les escaliers ?
Et là, le patient se gâche la vie en anticipant la crise, donc l’inter-crise est aussi inconfortable que la crise.
Les crises peuvent être de plus en plus fréquentes, une par mois… ça peut être une par semaine… ça peut être une par jour ou plus encore.
Il très compliqué de vivre ainsi, on devient prisonnier de sa maladie.
Donc, il y a des situations dangereuses où il faut que le patient en arrête de travailler (conducteurs de car, de camions, charpentiers, couvreurs, etc.). Il doit changer de métier. Ce qui est très difficile pour lui.
Vous êtes parmi les rares médecins qui prennent en charge les patients sur le plan psychologique, ce qui est essentiel dans la maladie de Ménière. Quels conseils leur donnez-vous ?
Avicenne disait déjà qu’il faut prendre le patient dans sa globalité. Il ne faut pas prendre en compte le symptôme uniquement, il faut prendre en charge le patient dans sa globalité parce que c’est là qu’on commence à comprendre pourquoi tout cela arrive. Il faut écouter le patient et sans jujement car c’est un drame pour lui. Ce qui n’est pas le cas de tous les médecins. Soigner, ce n’est pas seulement mettre un pansement, c’est aussi prendre en charge le patient.
Propos recueillis par : NAÏMA BENBAOUCHE
(*)Biographie de Michel Toupet
■ Docteur Michel Toupet, spécialiste en oto-rhino-laryngologie (ORL). Installé au Centre d’explorations fonctionnelles otoneurologiques Falguière, à Paris, depuis 1979.
Référence mondiale, le Dr Toupet est spécialisé dans l’exploration des vertiges et des troubles de l’équilibre de l’adulte et de l’enfant.