Les opposants ont appelé à une marche d’un million à Khartoum pour déloger les militaires qui détiennent le pouvoir et ne veulent pas le céder aux civils malgré leurs promesses. Ils entendent diriger eux-mêmes la transition, avec le risque de perpétuer le système d’Al-Béchir.
La manifestation de dimanche a été sévèrement réprimée, causant un mort et 125 blessés, selon les médecins. Le dispositif sécuritaire mis en place à et autour de Khartoum présageait d’une telle issue. D’autant que les services de sécurité n’hésitaient pas à user de balles réelles pour disperser les manifestants. L’on déplore, jusqu’à aujourd’hui, 46 morts.
Selon un communiqué publié hier par un syndicat de médecins prodémocratie, Majzoub Mohammed Ahmad, 28 ans, est mort après avoir reçu "des balles dans la poitrine durant la répression sauvage" des manifestations à Khartoum.
Dans un communiqué diffusé dimanche soir, le ministère de la Santé a fait état, de son côté, de "123 blessés à Khartoum et deux autres à Kassala", dans l'est du pays. Les protestataires ont été transportés à l'hôpital après avoir suffoqué en raison de l'inhalation du gaz lacrymogène, a indiqué le ministère.
Hier matin, les forces de l'ordre ont bloqué plusieurs ponts reliant le centre de Khartoum à d'autres villes, à l'ouest et au nord de la capitale, a constaté un journaliste de l'AFP. Les manifestations de dimanche ont lieu le jour du troisième anniversaire du début de la révolte qui avait entraîné la chute du dictateur Omar Al-Béchir, an avril 2019.
Le processus de transition démocratique qui a suivi avait été interrompu en octobre, avec le coup d'Etat. Les Forces de la liberté et du changement (FLC), fer de lance de la révolte, ont appelé la population à poursuivre sa mobilisation contre le pouvoir militaire, prévoyant des manifestations les 25 et 30 décembre.
Pour la célébration du 3e anniversaire de la chute d’Al-Béchir, les manifestants ont scandé des slogans contre les militaires qui ont fait un coup d’état et dénoncé le général Abdel Fattah Burhane, qui détient tous les pouvoirs.
Aux abords du palais présidentiel, l'ancien QG du dictateur désormais siège des autorités présidées par le général Burhane, les manifestants ont décrété en soirée un sit-in sur le modèle de celui qui, lancé il y a trois ans, jour pour jour, renversait Al-Béchir.
Après le putsch et la répression des partisans d'un pouvoir civil qui a fait 46 morts et des centaines de blessés, les fers de lance de la "révolution" anti-Béchir veulent relancer un mouvement qui s'est essoufflé parmi les 45 millions de Soudanais englués dans une inflation à plus de 300%.
Eux ne croient pas aux promesses du nouveau pouvoir : le 21 novembre, le général Burhane a rétabli le Premier ministre civil Abdallah Hamdok qu'il avait fait arrêter lors du putsch et annoncé des élections pour juillet 2023. Mais le pays n'a toujours pas retrouvé de gouvernement civil et pour les pro-civils, M. Hamdok est un "traître" qui facilite le "retour à l'ancien régime".
M. Hamdok, désormais conspué par la rue, a, dès avant les manifestations du jour, mis en garde contre de nouvelles violences qui risquent "d'entraîner le pays dans un abîme". Lui qui ne cesse de défendre son accord avec le général Burhane a reconnu que "la révolution" était "confrontée à une régression majeure menaçant la sécurité, l'unité et la stabilité du pays".
Les Soudanais ont choisi le 19 décembre pour manifester car, en plus de marquer le troisième anniversaire du début de la révolution anti-Béchir, c'est ce jour-là, en 1955, que le Parlement du pays, toujours sous tutelle britannique, avait proclamé l'indépendance.
R.I./ AFP