Les Soudanais continuent de manifester, pacifiquement, dans les rues de la capitale Khartoum et les autres grandes villes du pays, leur ras-le-bol général contre les militaires au pouvoir, dont le seul langage est celui de la répression violente de cette contestation qui dure depuis cinq mois.
Le Soudan a connu hier une nouvelle journée de répression des manifestations de l’opposition et de la population, qui conteste le pouvoir des généraux mais dénonce aussi une situation sociale explosive, marquée par une flambée des prix des produits de base et une inflation galopante. Les forces de sécurité ont usé hier encore de tirs à balles réelles et de grenades lacrymogènes pour tenter de disperser des milliers de Soudanais qui sont sortis à Khartoum et plusieurs autres villes du pays, où la colère n’a pas baissé d’un cran depuis le putsch du 25 octobre dernier contre le gouvernement de transition d’Abdellah Hamdouk.
Mené par le général Abdel Fattah al-Burhane, ce putsch contre le processus de transition a entraîné le Soudan dans une nouvelle impasse politique, mais aussi économique avec l’augmentation du prix de l’énergie et surtout celui des céréales sur le marché international. Pour rappel, la chute de l’ancien régime d’Omar al-Bachir avait commencé par la crise du pain, qui avait augmenté, et fini par son éviction du pouvoir après trois décennies de règne, après que les manifestations ont dégénéré en des manifestations de rues réclamant son départ et un changement politique radical à Khartoum.
Cette fois-ci, la crise du pain a refait surface dans un contexte national et international fragile. Dimanche, le prix du pain est passé de 35 à 50 livres soudanaises et le coup des transports a augmenté de 50%. Face à des milliers de manifestants, dont beaucoup de lycéens, à Damazine, à 800 km au sud-est de Khartoum, les forces de sécurité ont tiré des grenades lacrymogènes, ont rapporté des témoins à l’AFP, faisant également état de tirs à balles réelles.
Des grenades lacrymogènes ont également plu à Nyala, au Darfour (Ouest), a affirmé un autre témoin à l’AFP, alors que des milliers de lycéens et d’habitants scandaient “Pas d’éducation dans ces conditions désastreuses !” et “Non au pouvoir militaire !” Depuis le putsch du chef de l’armée, la répression a fait 87 morts et des centaines de blessés, selon des médecins prodémocratie.
Des milliers d’anti-putsch ont également défilé à Atbara, à 250 km au nord de Khartoum, où les cheminots ont entamé samedi une grève qu’ils annoncent illimitée. Les manifestants dénoncent la répression mais aussi la mainmise des militaires sur la politique et l’économie du Soudan, contrôlé quasiment en continu par des généraux en 66 ans d’indépendance. Toute augmentation des prix ou suppression des subventions étatiques sur les produits de base est sensible au Soudan où en 2018 la révolte qui renversa l’année suivante le dictateur Omar el-Béchir était née d’une décision du gouvernement de tripler le prix du pain. Le pays n’est sorti qu’en 2020 de décennies de sanctions américaines, et ses 45 millions d’habitants – dont un tiers a besoin d’une aide humanitaire, selon l’ONU – doivent déjà composer avec une inflation dépassant chaque mois les 300% et des infrastructures inexistantes.
Lyès Menacer/AFP