Après la dernière rencontre de leurs négociateurs sur le bord du Bosphore, le président Recep Tayyip Erdogan avait appelé tour à tour ses homologues ukrainien et russe, Volodymyr Zelensky et Vladimir Poutine, pour leur réitérer son invitation à organiser un sommet en Turquie.
La Turquie cherche à relancer les pourparlers entre la Russie et l’Ukraine, au point mort après la découverte d’atrocités dans des villes ukrainiennes libérées, affirmant que les deux pays sont toujours partants pour se retrouver sur son sol.
Les images “honteuses et inacceptables” des corps suppliciés dans les rues de Boutcha et d’Irpin, près de Kiev, ont “éclipsé” les échanges diplomatiques, a reconnu jeudi le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Cavusoglu. Mais Ankara assure que les deux pays sont “toujours disposés” à se réunir – et la Turquie à les accueillir – pour avancer vers une solution au conflit.
“La Russie et l’Ukraine sont d’accord pour tenir des pourparlers en Turquie, mais elles restent loin de s’accorder sur un texte commun”, a confirmé vendredi à quelques journalistes un responsable turc de haut niveau refusant d’être nommé. Il a tenu à préciser le rôle de son pays, le “seul capable de parler aux deux parties” : “Nous ne proposons rien, nous sommes là pour faciliter les discussions.”
La dernière session de pourparlers directs s’est tenue le 29 mars à Istanbul et avait permis aux deux parties “de discuter des questions les plus sensibles”, a-t-il souligné, parmi lesquelles la “neutralité” de l’Ukraine.
Des deux côtés, les discussions avaient été qualifiées de “difficiles” et les événements sur le terrain depuis ne facilitent pas la négociation d’un accord de paix. Sur le fond, la question de la Crimée et du Donbass reste difficile à trancher, a confirmé hier le haut responsable turc proche des pourparlers – se gardant bien d’avancer la date d’un prochain rendez-vous.
Une source occidentale de haut rang a évoqué récemment l’existence d’un “traité de paix” déjà rédigé entre Moscou et Kiev, sur lequel restait à définir le statut du Donbass, territoire séparatiste prorusse, et de la Crimée, annexée par Moscou en 2014.
Mais une autre difficulté est apparue concernant les pays proposés par Kiev comme “garants” de sa neutralité, parmi lesquels les cinq membres du Conseil de sécurité, ainsi que l’Allemagne, Israël et la Turquie notamment.
“Il leur (les négociateurs) faut définir ces garanties de sécurité, parce que certains des pays (concernés) s’inquiètent de se voir directement entraînés dans une confrontation directe avec la Russie”, explique le responsable turc. De son côté, Moscou a “exigé l’unanimité de tous les garants” pour toute décision, selon la source occidentale, “inacceptable” pour Kiev, la Russie, en tant que membre du Conseil de sécurité, s’érigeant alors en juge et partie.
Par ailleurs, la Russie a affirmé que l’Ukraine était revenue sur certaines de ses propositions antérieures, qu’elle avait accueillies positivement. Après la dernière rencontre de leurs négociateurs sur le bord du Bosphore, le président Recep Tayyip Erdogan avait appelé tour à tour ses homologues ukrainien et russe, Volodymyr Zelensky et Vladimir Poutine, pour leur réitérer son invitation à organiser un sommet en Turquie.
Dès le début de la crise et avant même le début de la guerre, le 24 février, l’homme fort d’Ankara avait proposé sa médiation, faisant valoir qu’il était l’un des rares à parler aux deux pays. Malgré les nombreux désaccords entre Ankara et Moscou, sur la Libye, la Syrie, le Nagorny-Karabakh ou la Libye, il a maintenu la ligne ouverte. Et même les plus sceptiques, à l’Ouest notamment, reconnaissent qu’il a agi avec prudence, acquérant la confiance de la Russie sans s’aliéner celle de son allié traditionnel, l’Ukraine.
Avant Istanbul fin mars, la Turquie avait abrité l’unique rencontre ministérielle directe entre la Russie et l’Ukraine, à Antalya (Sud). Mais après le relatif succès d’Istanbul, “l’atmosphère positive qui s’en dégageait a hélas été assombrie”, a insisté jeudi le chef de la diplomatie turque.
Alors que la Russie s’était engagée à Istanbul à réduire son activité sur le terrain, les épisodes de Boutcha, ou le bombardement vendredi de la gare de Kramatorsk qui a fait au moins 50 morts et 100 blessés parmi les civils qui tentaient d’évacuer la ville, entame encore un peu plus la confiance en Moscou. Ce que reconnaît un responsable turc citant un vieux proverbe d’Asie centrale : “Si tu te couches avec un Russe, n’oublie pas ton couteau.”
R. I./Agences