Dans certains hameaux, parmi les plus reclus et enclavés, témoigne-t-on, il n’y a presque plus âme qui vive. Ces patelins désertés se dégradent progressivement et se muent en des lieux fantomatiques.
Autant les agglomérations urbaines de la wilaya de Béjaïa croulent sous le poids de la population, autant l’espace rural se vide graduellement de sa substance humaine. Le cas de la commune de M’cisna, dans la daïra de Seddouk, illustre de manière désarmante ce mouvement d’exode inexorable.
Il traduit aussi, sans doute, le chimérique équilibre ville-campagne, que les pouvoirs publics se promettaient d’atteindre, à travers les différents programmes de développement de l’arrière-pays, lesquels programmes se sont révélés au final être des coups d’épée dans l’eau.
Le programme destiné au repeuplement de la campagne par le truchement de l’habitat rural a eu le vent en poupe, mais n’a pas atteint les objectifs escomptés. Pas plus d’ailleurs qu’un projet structurant, comme le gaz naturel, n’a contribué à la fixation des populations.
“Pas mal d’efforts ont été consentis par l’État, notamment en matière d’électricité, de routes et d’équipements publics de base, mais cela n’a pas empêché pour autant les campagnards d’abandonner leur clocher”, révèle un élu à l’APC de M’cisna.
Pour lui, le déterminisme de cette “transhumance” est complexe, même si, convient-il, le mobile principal reste la recherche de moyens de subsistance.
“Il faut se rendre à l’évidence que les gens ne peuvent plus vivre comme il y a un siècle, ni même comme il y a cinquante ans. Outre la recherche d’une carrière professionnelle valorisante et sécurisante, les nouvelles générations sont en quête perpétuelle d’un confort de vie au quotidien et de gages d’un avenir meilleur pour eux et leurs enfants”, dira-t-il.
Des villageois de M’cisna, avec lesquels nous nous sommes entretenus, sont d’avis que nul village, nul hameau de cette circonscription n’est épargné par l’exode.
“L’exode a, certes, toujours existé à travers les siècles. Sauf que jadis il était très limité. Les gens s’expatriaient en solo, pour venir en aide à leurs femme et enfants demeurés au village. Ils finissaient toujours par rentrer au bercail. De nos jours, le phénomène a radicalement changé, autant dans son ampleur que dans sa structure. Les candidats au départ sont nettement plus nombreux. Ils s’en vont en famille et pour de bon. La plupart ne remettent les pieds au village qu’à l’occasion d’un enterrement, d’une fête ou pour ramasser les olives”, analyse un habitant du village Imoula.
Affairé à élaguer ses oliviers, après une olivaison peu prolifique, un paysan de Sidi Saïd dispose que si les gens désertent leur clocher, c’est parce qu’ils y sont contraints et forcés.
“Les villageois sont accablés par une litanie de carences en tous genres. Pas de travail, pas d’hôpital, pas de lycée… et la liste est longue. En tout état de cause, ils ne peuvent entrevoir un avenir radieux que sous d’autres cieux, pas forcément plus cléments”, assène-t-il.
Dans certains hameaux, parmi les plus reclus et enclavés, témoigne-t-on, il n’y a presque plus âme qui vive. Ces patelins désertés se dégradent progressivement et se muent en des lieux fantomatiques.
“Le cas d’Iazzouzen illustre parfaitement cette saignée subie au fil des ans. Mais ce village est loin d’être un cas unique. Le démantèlement de l’économie agropastorale d’antan et les mutations socioéconomiques induites par la mondialisation risquent de transformer à terme notre région en no man’s land”, subodore un retraité du village Ighil Ouantar.
Difficile adaptation en milieu urbain
À se fier à ces propos, la tentation de mettre les bouts est plus prégnante que jamais, notamment chez la frange juvénile. Installé avec sa petite famille, depuis une dizaine d’années, à la périphérie de la ville d’Ighzer Amokrane, dans la commune d’Ouzellaguen, Karim confesse n’avoir jamais pu faire le deuil de son patelin, celui-là même qui l’a vu naître et grandir.
“Ce n’est pas évident de mettre un trait sur son passé, son enfance, qui compte parmi les périodes les plus savoureuses de la vie. Se retrouver, du jour au lendemain et contre son gré, dans un autre environnement social impose de réapprendre à vivre. La période d’adaptation a été très pénible et, croyez-moi, une décennie après mon arrivée en ville, les choses ne sont pas tout à fait rentrées dans l’ordre”, témoigne-t-il, avec un brin de nostalgie. Après avoir passé des lustres à tirer le diable par la queue, un ex-habitant de M’cisna, réfugié à Akbou, est parvenu à dégoter un poste de travail dans la zone d’activité de Taharacht.
“J’ai galéré des années durant dans la précarité. J’ai enchaîné de petits boulots dans le secteur informel, avant d’intégrer une entreprise privée versée dans l’agroalimentaire. L’objectif pour lequel j’ai quitté mon village, en l’occurrence un travail stable pour nourrir mes enfants, est atteint. Néanmoins, le mal du pays me pèse encore, comme un expatrié dans une contrée lointaine”, confie-t-il.
À l’évidence son arrachement à la campagne n’a pas émoussé son attachement à son village natal. Tant s’en faut. “L’idée de regagner mon patelin ne m’a jamais quitté. Si pour l’heure le retour n’est pas à l’ordre du jour, à cause du travail et des enfants, je caresse le rêve de finir mes vieux jours au village de mes ancêtres. En attendant, à chaque fois que l’opportunité se présente, j’y retourne pour me ressourcer et rendre visite à mes parents”, confesse-t-il.
Bien des jeunes de M’cisna, qui rêvent de faire leur vie sous d’autres cieux, se retrouvent souvent confrontés à un sérieux dilemme : végéter dans le dénuement et les rudes conditions de la campagne ou s’exposer aux risques du désenchantement que leur promet le melting-pot des cités urbaines.
SYPHAX M.