En détention provisoire depuis vingt-neuf mois, Khalida Toumi est sans doute la prisonnière qui vit son incarcération dans une grande solitude, elle qui a occupé une place centrale dans le paysage politique durant des décennies. Elle est comme abandonnée par tous. Hormis sa petite famille et la vaillante révolutionnaire Zohra Drif-Bitat et son amie de lutte Louisa Hanoune, rares sont les voix qui brisent le silence pour la soutenir dans cette épreuve. Ses adversaires historiques qui se recrutent dans le milieu islamo-conservateur jubilent. Elle était leur bête noire. Quant à ses anciens camarades de combat, ils disent tant pis pour elle, “chah”. Pour eux, elle a “trahi” la cause en siégeant dans le règne de Bouteflika. Faisant fi de la notion des droits de la personne humaine, les deux camps ne lui accordent aucune présomption d’innocence. Même le monde de la culture, à qui l’ancienne ministre a ouvert largement les portes de la “gloire”, a comme perdu la voix.
Parce qu’elle est foncièrement républicaine pour les uns et “traître” pour les autres, ils la couvrent de la présomption de culpabilité. Manifestement, le cas Khalida illustre cruellement la nature violente de la politique. Son engagement militant ne lui a été d’aucun salut. Par manichéisme et vengeance crasse, ses adversaires ne veulent retenir de son parcours que les années passées au gouvernement, effaçant de la mémoire militante les années de combat. Figure emblématique de la lutte pour les droits de femmes dès la fin des années soixante-dix, avant d’embrasser une carrière politique au sein du RCD, arborant avec courage l’emblème de la démocratie, celle qui fut professeur de mathématiques s’est surtout illustrée par son engagement contre l’islamisme et le terrorisme.
Face à la barbarie intégriste, Khalida Toumi était une femme debout. Elle s’est battue avec une audace rare pour éviter à l’Algérie le sort infligé à l’Afghanistan. Aux côtés de nombreuses femmes, elle a mené la grande bataille contre l’infamant code de la famille. Elle a tenu tête aux forces réactionnaires durant la longue nuit du parti unique. Ce n’est pas parce qu’elle a été ministre dans le gouvernement de Bouteflika qu’il faut la jeter en pâture. Et peu importe le verdict de son procès qui se tient demain, rien ne pourra effacer l’histoire de son combat pour “une Algérie meilleure et une démocratie majeure”. Elle n’est ni ange ni démon. Elle est Khalida Toumi.