L’un fut assassiné par l’OAS, à trois jours de la signature des Accords d’Évian, l’autre est parti prématurément - 56 ans - un mois après un cessez-le-feu qui allait mettre un terme à une guerre atroce et sceller la fin de la nuit coloniale. Mouloud Feraoun et Jean Amrouche incarnaient, à eux deux, l’intelligence et la création intellectuelle de l’Algérie combattante. Porteur d’une vision universelle de la lutte de libération et surtout d’une société plurielle et ouverte, “Le fils du pauvre” et “L’éternel Jugurtha” ont su montrer au monde entier que les maquis de la libération étaient avant tout des maquis de pensée moderne et d’inspiration humaniste. Ils n’étaient jamais du côté de la barbarie, mais ses adversaires les plus farouches.
Des valeurs qui s’estompent au fur à mesure qu’on s’éloigne de cette époque aussi glorieuse que tragique. En témoigne l’effacement de ces deux géants de la mémoire collective. Aucune trace d’eux dans le récit national. Ce révisionnisme fut infligé aussi à une autre grande figure intellectuelle et révolutionnaire algérienne de “peau noire” qui était Frantz Fanon. Moufdi Zakaria, poète de la Révolution, n’a pas non plus échappé à cette exclusion éhontée.
La construction idéologique et culturelle de l’Algérie indépendante s’est faite en les jetant dans l’oubli et leurs pensées avec. L’esprit qui a prévalu après le 19 Mars était aux antipodes de ceux que les pères fondateurs forgeaient dans la douleur du combat libérateur. Par une succession de renoncements cultuels, l’Algérie s’est donné des référents étranges et étrangers. L’imaginaire national s’est nourri inlassablement des “idées” aussi obscures qu’obscurantistes importées d’un univers moyenâgeux. Soixante années après le geste historique de Krim Belkacem qui actait la naissance de l’Algérie indépendante, le pays ne se souvient plus de Jean Amrouche et de Mouloud Feraoun.
S’il faut en effet rappeler à la France ce qu’a été la barbarie coloniale, il nous faut aussi et surtout regarder ce que nous avons nous-mêmes infligé à ceux qui ont fertilisé cette terre. Nous sommes responsables de nos échecs. Et c’est à nous d’être responsables de nos réussites à inventer. Commençons par distribuer aux écoliers L’éternel Jugurtha au lieu de leur bourrer le crâne de ceux qui ne conçoivent la vie que dans un linceul.