Ingénieur d’État de formation, Sid-Ahmed Hamdad n’a jamais perdu de vue ses deux passions, l’écriture et la peinture. Fasciné par l’histoire millénaire de l’Algérie et de l’Afrique du Nord, il a publié plusieurs ouvrages afin de “restaurer notre mémoire”.
Liberte : Vous avez consacré trois ouvrages à l’histoire millénaire de l’Algérie et de l’Afrique. Pourtant vous n’êtes pas historien ni archéologue. Comment vous-êtes-vous lancé sur les sentiers de l’écriture de ces ouvrages ?
Sid-Ahmed Hamdad : Très tôt, je fus entraîné vers l’achat de livres qui traitent de l’histoire et de l’archéologie en Afrique du Nord. Ma passion pour l’histoire s’est focalisée sur celle de mon pays naturellement, au point de vouloir connaître toutes les étapes par lesquelles sont passés nos anciens. Aussi, je ne négligeais aucune époque, aucun auteur, pour le choix des livres que j’achetais.
Ainsi, quarante années de lecture avaient suscité en moi ce besoin d’écrire, dès ma retraite. Et j’ai décidé de partager, avec mes concitoyens, sous forme de contributions livresques, ce que j’ai appris au cours de mes lectures durant des décennies. Ma bibliothèque personnelle, que j’enrichis au fur et à mesure, m’a beaucoup servi pour mes recherches. Aussi, pour compléter mes informations, je me déplaçais dans différentes bibliothèques pour consulter des ouvrages d’auteurs nationaux et étrangers.
Après Amazigh le peuple d’Afrique du Nord - 3500 ans av J.-C. au 7e siècle ap J.-C., le second ouvrage L’Homme de la préhistoire à l’antiquité a mis en exergue les liens de notre passé préhistorique, conforté par des données paléoanthropologiques et archéologiques, avec l’avènement des Libyens et leurs manifestations historiques. J’ai pris soin de mettre l’accent sur cette continuité discursive qui marque l’interaction de ces deux livres, et prouvant que la nation nord-africaine existait bien avant l’aube de l’histoire.
Pour ce qui est de Djebel Robba, mon objectif était de restaurer une facette de notre Mémoire. Et c’est le récit de sa légende qui fut le déclic, m’entraînant à chercher son rapport avec ces curieuses pierres aux formes et dispositions différentes. Car on raconte qu’à cet endroit précis, des humains furent trouvés pétrifiés en position assise. Or ce dernier indice porte l’empreinte des anciennes pratiques funéraires, d’ensevelissement, durant la longue période antéislamique. D’autant plus qu’il est apparent que ce sont des hommes, d’un autre âge, qui ont taillé et monté ces pierres rappelant des sépultures du Néolithique.
J’ai rédigé mes ouvrages dans le souci de la référence, pour crédibiliser mes recherches; ma formation scientifique m’ayant aidé à développer les faits et l’information avec la rigueur qui sied à tout raisonnement logique.
Sidi Bel-Abbès, dont vous êtes natif, jouit d’un riche patrimoine archéologique et historique, mais celui-ci n’est dans sa grande majorité pas classé selon les spécialistes…
Pour l’essentiel, les sites romains, qui existent dans la wilaya de Sidi Bel-Abbès, sont inventoriés depuis l’époque coloniale, à savoir Lucu (Timziouine), les places fortes du Limes du 3e siècle repérées dans les monts de Dhaïa, suivies de celles de Tect (Ténira), Caput Tasacora (Sidi Ali Benyoub) et Astacilis (Tessala). Néanmoins, leurs traces, actuelles, sont en train de se perdre inexorablement dans le paysage. Les quelques actions engagées ici et là, ne s’attachent pas à l’essentiel, soit, une restauration et une protection qui tendrait à leur éviter la déperdition. C’est seulement après ces “soins”, qui feront apparaître leur importance archéologique, voire historique, que nous pouvons parler d’un éventuel “classement”.
Hormis les sites inconnus, ceux-là sont à découvrir, pour peu qu’une action soit engagée pour encourager ce type d’initiative motivée par la passion. Une fois repérés, une expertise doit être initiée pour mettre en valeur leurs données archéologiques, et si ces dernières sont édifiantes, déterminer la période à laquelle elles se rapportent. Les sites pourront être enfin répertoriés sur un document officiel, avant leur classement.
Pour le cas de Djebel Robba, exceptionnellement, ce dernier a perdu cette relation qui le liait à son passé, et rappeler son existence millénaire ainsi que son statut spirituel symbolique, aussi ancien soit-il. Les colons et les archéologues français, bien qu’instruits de sa valeur archéologique, et relayés par les chasseurs de trésors, furent les fossoyeurs de cette structure funéraire ne servant pas les intérêts des premiers, mais autant accablée par l’ignorance des seconds. Contraint à sa banalisation, sa légende confina son archéologie dans une zone d’ombre. Aussi, l’intérêt, éventuel, qui doit lui être porté s’inscrit dans la préservation du patrimoine archéologique de la wilaya de Sidi Bel-Abbès, si pauvre en vestiges millénaires déclarés.
Vos découvertes ont-elles intéressé des experts dans les domaines de l’archéologie et de l’histoire ?
J’ai commencé par mettre en exergue la vocation millénaire, éventuelle, du site de Djebel Robba par l’écriture du livre Djebel Robba – Mythe et réalité. Puis, j’ai entamé la procédure en vigueur pour la prise en charge d’une expertise du site par des spécialistes de l’institution compétente, à savoir le Crasc d’Oran, en lui transmettant un exemplaire du livre, par le biais de la direction de la culture de SBA. Il revient au Crasc et au ministère de la Culture d’évaluer mes descriptions, et l’intérêt éventuel à donner à ce site, en le protégeant, avant qu’il ne soit investi par les curieux de tous bords.
Les Algériens doivent cesser d’être otages de tabous confessionnels du passé, et s’intéresser aux bribes archéologiques laissées par leurs ancêtres. Or, l’archéologie joue le rôle de catalyseur pour le renforcement de notre identité, sur laquelle se sont greffées tant de civilisations, que nous devons assumer avec responsabilité, parce que nous en sommes le produit. Ainsi, font les grandes nations, qui composent dans l’objectivité et la clarté avec leurs patrimoines souvent multiples.
Vous êtes également artiste peintre depuis 1964. Vous avez fait vos classes chez le plasticien Carlos Alberto. Pouvez-vous revenir sur ce parcours entamé il y a près de soixante ans ?
Né en septembre 1948 à Sidi Bel-Abbès, j’ai vécu mon enfance à Sfisef (ex-Mercier Lacombe), où j’y ai fait mes études primaires et mes premiers dessins avec mon ami peintre Ali Silem. En 1961, je fus admis en 6e au lycée Leclerc (lycée El-Haouès aujourd’hui) à Sidi Bel-Abbès. Après l’indépendance, je fus transféré au lycée Abdelkader-Azza de la même ville. Mon professeur de dessin, Carlos Alberto, Lauréat du Grand Prix de Rome (ancien diplômé de l’École des beaux-arts de Cadix - Espagne) décida de m’initier à la peinture de chevalet. Aussi, sous sa coupe, j’ai participé à deux expositions en 1965 (à Alger, salle Ibn Khaldoun, puis en Suisse dans le cadre de la première Semaine culturelle algéro-suisse) où j’obtins le “Prix Jeune talent” décerné par le défunt président Benbella, et une en 1967, à Sidi Bel-Abbès, qui fut visitée par le défunt président Boumediène.
Le baccalauréat obtenu en 1968, j’ai entamé mon cursus universitaire à l’université de Sénia, puis à l’INH de Boumerdès, au cours duquel j’ai animé des ateliers de peinture pour étudiants, et exposé au sein des campus. Après mes études d’ingénieur d’État (Boumerdès 1972 – 1977), je fis mon service militaire (1978 – 1980), puis j’ai commencé ma carrière professionnelle. Parallèlement, je repris un nouveau long cycle d’expositions dès 1996, avec une série de 22 expositions (1996 à 2020) en Algérie et en France, qui me valurent des prix, au plan national (Festival national de Souk Ahras) et international (Paris), et une vaste reconnaissance médiatique. J’ai ponctué la période, de 2007 à 2014, avec des publications et des conférences sur les arts plastiques.
Vous êtes ingénieur d’État de formation. Comment allie-t-on ce métier et ses deux passions. Se complémentent-elles ?
Je n’ai jamais sacrifié à ma vie professionnelle mes premières passions relevant du domaine des arts (musique, peinture, théâtre). Cette ouverture d’esprit, que j’ai cultivée tout au long de ma vie, me permit aussi de consacrer mon temps libre à la lecture d’œuvres littéraires, et autres traitant d’histoire et d’archéologie. Ainsi, mes activités culturelles étaient plutôt un plus qui auréola mon parcours professionnel, qui était autant enrichi par des séminaires scientifiques.
Parallèlement à mes deux et anciennes passions, celles de peindre et lire dont je ne peux me départir, mon statut de retraité me donna la latitude de m’adonner à une nouvelle passion, celle d’écrire. Aussi, l’acte d’écrire, en plus d’une passion, s’inscrit dans une nouvelle tâche que je me suis assigné, celle de tenter de visiter ce que la préhistoire nous a révélé sur les premiers habitants du Sahara central et de l’Afrique du Nord, pour s’engager sur l’histoire de mon pays depuis l’Antiquité jusqu’à la période ottomane. Mes premiers ouvrages, cités ci-dessus, formulent un début de concrétisation de mes projets d’écriture.
Vous vous intéressez également au théâtre, une passion qui vous a valu en 1998 le prix de la scénographie au Festival national du théâtre pour enfants de Mostaganem…
En 1970, alors que j’étais maître d’internat dans un lycée d’Oran, j’ai eu le loisir de monter, avec les internes, pour les fêtes de fin d’année, une pièce de théâtre avec une modeste scénographie et une illustration musicale. C’était ma deuxième expérience théâtrale scolaire, la première eut lieu en1969 avec les élèves du CEG de Sfisef.
En 1998, j’ai réalisé ma première scénographie avec des accessoires et des décors de l’Égypte ancienne et de sa brillante civilisation, pour une pièce de théâtre intitulée Cléopâtre. Elle fut montée par le professeur Boussahra avec ses élèves du collège Chebani de Sfisef comme acteurs. Cléopâtre, qui représenta la wilaya de Sidi Bel-Abbès, obtint le Prix de scénographie au Festival national du théâtre pour enfants de Mostaganem.
Enfin en 2005, j’ai réalisé une seconde scénographie pour la pièce de théâtre Rah Ykharef, montée par Mohamed Kadri pour le compte du Théâtre régional de Sidi Bel-Abbès. Ce dernier la présenta, au Festival du théâtre professionnel d’Alger de l’année 2006. Elle fut jouée par des acteurs de notoriété nationale, tels Abdelkader Djeriou, Djellab Abdellah, Dine Hennani Djahid et Dalila Nouar.
Entretien réalisé par YASMINE AZZOUZ