Liberté : Votre premier roman est signé d’un pseudonyme. Pourquoi le choix de l’anonymat ?
Nihed El-Alia : Minuit à Alger est mon troisième roman, mais... c’est le premier publié. J’ai souhaité garder l’anonymat pour éviter de m’exposer à des réactions agressives – c’est le risque, dès qu’on touche à des thèmes tabous –, de subir des commentaires tels que : “Elle ne représente pas l’Algérie”, “Elle donne une mauvaise image de notre pays”, etc. Je ne veux être la porte-parole de personne. Je ne tiens pas à être connue ou reconnue ni à faire le buzz. Nihed El-Alia est un personnage que j’ai inventé de toutes pièces - comme ceux qui évoluent dans mes romans.
Comment est né ce livre ? Quelles ont été vos motivations pour son écriture ?
Pour moi, l’écriture ne se fait pas de manière intentionnelle ou préméditée. Ce livre est donc né très naturellement. Il est l’expression d’un manque, d’une nostalgie comme “intrinsèque” liée à ma ville natale et peut-être un peu aussi d’une envie d’immortaliser un côté méconnu d’Alger qui n’a jamais été abordé dans la littérature algérienne, à ma connaissance.
S., l’héroïne du roman, est une jeune femme complexe. Dans quelle mesure vous ressemble-t-elle ?
S. est un personnage purement fictif. Je l’ai composé pour qu’elle puisse se fondre dans le décor et évoluer avec aisance dans le milieu huppé de la capitale. Je considère mes personnages principaux comme “ma progéniture”, donc ils ont tous quelque chose de moi.
Le personnage nous plonge dans l’univers de la jeunesse dorée algéroise : alcool, drogue, dépenses extravagantes, histoires sans lendemain. Un monde qu’elle méprise mais paradoxalement auquel elle s’attache…
Je ne dirais pas que S. est attachée à ce monde. De toute façon, on ne choisit pas d’en faire partie. S. est née dans une famille aisée du début des années 2000, dans un certain milieu où règnent l’opulence, une sorte d’indifférence au sort du pays et des comportements déconnectés de la réalité (c’est d’ailleurs ce qui fait que ces milieux se ressemblent, que vous soyez à New York, à Alger ou à Bangkok), elle a forcément baigné dans cette sphère et a grandi avec ses codes. Sa lucidité et sa clairvoyance l’empêchent de fusionner avec ses semblables, qu’elle ne méprise d’ailleurs pas exclusivement ; S. méprise tout le monde... “Mépris” n’est d’ailleurs peut-être pas le mot exact : elle porte plutôt un regard désenchanté et féroce sur tout son entourage ; elle n’épargne personne (à part peut-être son meilleur ami, Zak.), de ceux qui évoluent dans son univers, jetsetteurs gavés de fric et d’excès, aux jeunes de Bab El-Oued, en passant par les prostituées ou les baggarin.
Traversée d’un lourd malaise existentiel, S.est dans l’autodestruction…
S. est un personnage qui éprouve le besoin de souffrir. L’autodestruction est le moyen qu’elle trouve pour réveiller des sentiments qu’elle pense perdus, tout en ayant l’impression de garder le contrôle. Elle se nourrit de sa souffrance pour confirmer son existence. Un malaise existentiel ? Oui, et aussi un vide qu’elle essaye de combler tant bien que mal. S., comme une grande partie de la jeunesse algérienne, s’évertue à tuer le temps avec ce qu’elle a sous la main. La drogue est omniprésente dans la société. Les drogues sont différentes selon chaque milieu . Les plus pauvres se shootent à la “zetla”, au “saroukh” (Lyrica) ou au “roch” (Rivotril), quand les plus aisés se défoncent à la cocaïne ou au LSD… mais le malaise d’une jeunesse sans perspective, sans loisirs et accès à la culture, est le même.
Malgré un fort tempérament, cette jeune femme attend son “sauveur”, le mystérieux M. Pensez-vous que l’amour est la seule issue de secours ?
No, S. n’attend aucun sauveur. Son pragmatisme et ses désillusions l’empêchent de croire en quoi que ce soit, encore moins en l’amour. M. est comme un mirage, une illusion. C’est justement dans la “non-existence” de ce personnage que l’héroïne voit le plus grand intérêt. Cette histoire se joue dans sa tête, ce qui la protège de toute déception. Pour répondre à la question, je ne crois pas qu’il puisse y avoir une seule issue de secours. Chaque personne peut trouver sa propre bouée de sauvetage. L’amour peut en être une pour certains, mais cela reste une solution d’urgence. Quand on cherche le bonheur, on le trouve partout et surtout en soi ; il ne doit pas dépendre de “l’autre”.
Votre livre se veut également une déclaration d’amour à Alger, une ville aimée mais détestée à la fois…
N’est-ce pas une caractéristique typique de l’Algérien ? Doté d’un patriotisme et d’une fierté surdimensionnés et capable, en même temps, de cultiver une haine viscérale pour ce même pays ? Fuir cette terre à la première occasion et pleurer sa privation une fois exilé.
Entretien réalisé par : Hana MENASRIA