Ce livre, publié en janvier 2022 chez Amazon, est un témoignage de l’auteure sur sa propre expérience de vie, dans lequel de nombreuses femmes pourraient malheureusement se reconnaître. La densité des violences physiques et morales de cet ouvrage est tellement effarante que le lecteur pourrait se demander s’il a entre les mains une fiction d’un écrivain à l’imagination débordante ou le récit d’une histoire vraie.
La précision des événements, des lieux, des dates et de l’identité des personnages le ramène à la réalité d’une histoire sordide que seuls les codes des sociétés fermées peuvent permettre. Louiza B. y aborde trois grands thèmes : le mariage forcé des jeunes filles, les violences faites aux femmes et l’enlèvement des enfants par des parents (les siens ont été enlevés par leur père et envoyés en Algérie).
La trame se tisse au gré des pérégrinations de familles issues des sociétés rurales traditionnelles en Algérie, de l’exil des émigrés en France et du choc entre les valeurs “importées” du pays et celles de leur nouveau monde. Voilà pour les décors des multiples drames qui alimentent, tels des affluents tumultueux, le fleuve tourmenté de la vie de la narratrice.
Déjà traumatisée par l’expérience d’une agression subie dans son enfance de la part d’un proche (qu’elle a réussi à repousser), elle va subir, à quinze ans et demi, l’épreuve de son mariage forcé. Son père protecteur n’étant plus de ce monde, elle ne put s’opposer à “sa mère et sa fratrie, tous prisonniers de coutumes et traditions anachroniques”. Que de crimes ont été commis à l’ombre de ces “traditions”, rappelle l’auteure, dont le livre est peuplé de cas de viol, de violence physique et morale sur des femmes, accomplis souvent par des personnes protégées par un statut factice de “villageois ou de proches honorables”.
Louiza B. dissèque sans complaisance les travers que la société traditionnelle traîne avec elle jusqu’à la lointaine “ghorba” : intrigues et calculs mercantiles qui relèguent les valeurs humaines au rang de tares. Dans ce livre-témoignage, on découvre une jeune fille de 15 ans qui cherche à s’émanciper et à se libérer par l’instruction, puis par le travail, espoirs brisés par un mariage forcé et dix années de vie conjugale décrites comme un enfer par la narratrice.
“Le ‘gendre idéal’, tout gentil et prévenant quand il n’était que prétendant, ne tarde pas à révéler sa vraie nature d’homme irascible et violent”. Évitons les détails pour permettre au lecteur de découvrir la réalité de cet “enfer” décrit avec force détails par Louiza B. Comme une mère naufragée avec ses enfants, elle puise dans ses dernières forces pour protéger ces derniers qui restent désormais sa seule raison de vivre.
En discutant avec l’auteure, on découvre une femme qui veut rester digne dans la douleur : “J’ai hésité longtemps à écrire ce livre car je voulais protéger mes enfants et le nom de ma famille, mais, des décennies après, l’envie de faire connaître mon histoire est devenue irrésistible. Maintenant que c’est fait, je me sens libérée.” Ayant longtemps résisté aux tentatives de rabaissement menées par un certain entourage, les vérités assénées dans l’ouvrage de Louiza B. ont aussi pour but de rehausser son image que certains ont cherché à écorner.
Cette réhabilitation, elle la veut aussi aux yeux de ses enfants qui, devenus grands, se sont éloignés d’elle. Elle a tenu à les tenir informés de son projet de livre et de son contenu. Le lecteur trouvera dans Femme, donc coupable la lettre adressée par Louiza B. à ses enfants.
“J’ai tellement mal que je ne peux plus me taire. J’ai besoin de me libérer. En effet, oublier tout notre vécu, faire semblant de vivre et effacer 50 ans de souffrance, cela m’est tout simplement impossible”, écrit la mère, qui n’omet pas de préciser à ses enfants : “Mon but n’est pas de vous reprocher quoi que ce soit, mais de vous parler (…) et de vous dire que je vous aime.” Elle les informe qu’elle envisage de publier le récit de sa vie. Voilà qui est fait.
ALI BEDRICI
Femme, donc coupable, de Louiza B.,
publié chez Amazon, 402 pages, 2022.