Chroniques

Terrorisme, dictature et mémoire

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Mustapha HAMMOUCHE Publié 19 Mars 2022 à 21:58

À la veille de  la  halte  historique  des  18-19 mars, la  relation  algéro-française était comme convalescente, la guerre d’Ukraine et le contexte électoral français contribuant à ralentir l’effort de réchauffement. C’est donc un peu discrètement qu’une cérémonie d’hommage à Mouloud Feraoun et à ses compagnons, et aux victimes de l’OAS en général, a été accomplie par l’ambassadeur de France à Alger. Côté algérien, le 19 Mars a été marqué par le solennel message présidentiel de rigueur et, en face, outre la commémoration programmée à l’Élysée, le 18 mars aura vu l’œuvre de mémoire migrer vers l’espace médiatique. 
À l’avènement de Macron et dès ses premiers contacts avec Tebboune, nouveau président algérien, il fut convenu que cette relation, pour mieux se refonder, devait affronter ce douloureux passé qui paralyse le présent et compromet l’avenir. Ainsi conçu, le travail de mémoire partagé a besoin d’un entrain résolu. Qu’on cherche à la manipuler ou à l’honorer, la mémoire est déterminante : selon qu’elle soit fidèle ou tronquée, elle éclaire ou brouille la perspective.
Par coïncidence, s’annonce un autre jour de souvenir : le 22 mars, que la société a retenu comme “journée contre l’oubli” (des victimes du terrorisme islamiste). Et comme pour démentir la “loi d’amnésie” que fut la fameuse “charte” pour la réconciliation, quinze terroristes ont été abattus ou capturés par l’armée dans la région de Collo, durant le mois qui vient de s’écouler. La “réconciliation”, même fondée sur le déni et l’impunité, n’a pas démobilisé le terrorisme islamiste ; c’est la lutte armée qui l’a contraint à battre en retraite. La preuve : là où il peut survivre, il préfère continuer à se terrer en attendant des jours meilleurs plutôt que déposer les armes. Il s’efforce même de recruter : deux éléments du groupe capturé ont pris les armes en 2007, après la mise en œuvre de la loi d’amnistie ; un troisième a rejoint le maquis en… 2015 !  Le salut est dans la lutte armée, mais aussi dans la résistance politique des versants progressistes de la société et de ses élites : le GIA ne s’y est pas trompé et s’est mis, dès son début, à cibler les personnalités les plus éclairées de la société, en commençant par Hafid Sanhadri, le 14 mars 1993, Djilali Lyabès et Lâadi Flici, les 16 et 17 mars suivant… la liste sera longue. Très longue. À l’appel de partis, associations et syndicat alors unique, une imposante marche citoyenne eut lieu le 22 mars 1993. L’année suivante, à la même date, cent mille femmes ont marché à Alger contre le terrorisme !
Maintenant que le mal est fait et que le “qui tue qui ?” a contraint le pouvoir à accorder l’immunité aux assassins, plus personne ne conteste l’identité islamiste des terroristes. Ni ne les confond avec des soldats. Mais il reste encore à appeler les choses par leur nom : une guerre terroriste n’est pas une “tragédie nationale” désincarnée et une victime du terrorisme ne s’assimile à un terroriste éliminé, juste pour dresser un bilan confus à dessein d’une guerre terroriste islamiste déguisée en “tragédie nationale” non identifiée.
Depuis, le terrorisme a “voyagé”. Et a fait école. “Identité meurtrière” par excellence, il est l’expression de la barbarie des forces déshumanisées. Il a enseigné, et parfois simplement rappelé, à ses ennemis de circonstance l’art d’anéantir des peuples en rasant leur Histoire, de les anémier en les terrorisant, de les éparpiller en leur imposant un choix entre l’exil contre la mort… En Ukraine, Poutine ne fait rien d’autre que ce qu’il a fait en partenariat objectif avec Daech à Alep : table rase. Il ne veut pas occuper le pays ; il veut le “nettoyer” de son peuple en effaçant tout ce qui peut l’y rattacher. Le terrorisme a aussi appris aux dictatures la manière de triompher de la démocratie en liant l’issue de la guerre extérieure à la soumission populaire à l’intérieur. Le maître de la Russie attend de sa guerre qu’elle réalise “une si naturelle et si nécessaire autopurification de la société” et que n’y subsistent que ceux “qui veulent réellement soutenir leur président, et c’est la majorité écrasante” ! Qui d’autre que les troupes de Bachar et Kadyrov pour le seconder dans son œuvre de destruction matérielle et de dissolution culturelle d’une société ?
Il y a peu de différence entre terrorisme et dictature ; le terrorisme est une dictature en projet  et la dictature est un terrorisme au pouvoir.  Parce que la mémoire est vérité et liberté, tous deux ont en aversion la mémoire.
 

M. H.
[email protected]

 

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