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Frantz Fanon, le Martiniquais algérianisé

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Charrette-Club/ LIBERTÉ-Digital Publié 06 Décembre 2021 à 15:05

©D.R.
©D.R.

Frantz Fanon ou Ibrahim Omar Fanon, comme l’indiquait son vrai "faux-passeport" tunisien, a certes quitté ce bas monde il y a de cela, jour pour jour, soixante ans, mais n’a pas quitté la mémoire d’un peuple, originellement pas le sien, mais d’un pays qu’il a -mais aussi qui l’a- adopté, l’Algérie.

Quand Frantz se remplace par Ibrahim, quand Omar côtoie Fanon, ou quand un homme qui porte le nom de son pays renie ce dernier et embrasse la cause de son ennemi ; l’histoire est marquée. D’autant plus, si une révolution y est mêlée.

Psychiatre et écrivain d’ouvrages basés sur l’analyse comportementale du peuple du tiers monde colonisé, fondée sur des études psychologiques, Fanon a su s’inscrire ainsi comme un des fondateurs de la pensée tiers-mondiste, ne l’étant pourtant pas. Ses écrits, et études, ont été puisés d’abord de ses propres expériences et ressentis en tant qu’homme noir vivant dans une société majoritairement blanche, mais aussi de ses séjours en Algérie.

Dans le cadre de son service militaire (dans l’armée française) il effectue sa première visite en Algérie. Près de 10 ans plus tard, il y est désigné comme médecin chef de l’hôpital psychiatrique de Blida, ce qui lui permettra d’étudier les effets et les traumatismes causés par le colonialisme, ainsi que leurs effets à long terme sur la société moderne et d’y introduire toute une philosophie de thérapie…

Imprégné de la cause algérienne, il s’y engage aussitôt (étant citoyen français) se fait expulser à Tunis, d’où il continue sa révolution, reniant sa nationalité française. C’est sur place qu’il se procura son faux passeport du nom de Ibrahim Omar Fanon. Il tient à l’Algérie et à ce rêve d’indépendance. Il s’y accroche et assiste à des conférences mondiales à ce sujet, ce qui le nommera ambassadeur du GPRA (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne) ...

C’est en 1959 qu’il écrit un de ses ouvrages phares, cinq ans après le début de la guerre d’indépendance, d’où le titre « L’an V de la révolution algérienne ». Il y raconte tous les progrès et changements qu’a connu cette révolution depuis son déclenchement, ce qui est espéré pour le futur, mais aussi les stratégies qu’adoptait le colon « l’action », la réaction du colonisé, qu’il justifie culturellement, socialement, religieusement et psychologiquement   .

Une des politiques malines et malignes du colon dévoilée dans cet ouvrage est l’utilisation de la femme algérienne à des fins malsaines, mot qui reste assez doux. La politique du dévoilage de la femme algérienne, l’inciter à s’ouvrir au modernisme, à ladite liberté rêvée, et démolir le peuple de sa base étant le but (qui ne fonctionnera que peu). Cette femme algérienne qui se dévoilera plus tard , mais de son propre gré , se donnant et se sacrifiant pour la révolution , dans le dépôt de bombes et la surveillance lors de réunions ,en soignante …

On assiste aussi à un évènement majeur dans cet ouvrage, qui aurait été jugé banal il y a de cela dix ans, voire démodé aujourd’hui, l’introduction de la radio dans les maisons algériennes, mais surtout, son enjeu pour la révolution. Radio Alger, radio dominante avant 1945, est considérée comme, « la radio des français aux français ». Elle rapportait les louanges du colonialisme et de sa société , n’intéressant donc pas les algériens , à l’exception de la classe bourgeoise , qui vante les avantages du colonialisme.

1945, suite aux massacres de Kherratta Sétif, dont les atrocités ont été relayées médiatiquement à l’échelle mondiale, des stations émettrices voient le jour en Syrie ,Egypte, et tous les algériens se sont procurés un poste TSF pour pouvoir les écouter. Radio Alger préalablement boycottée commence aussi à intéresser, en guise de récolte d’informations. Une autre radio sort de l’ombre , Voix de l’Algérie libre ,radio nationaliste , qui entrainera l’interdiction du colon des postes radios et le brouillage des ondes , jusqu’à la forte multiplication des radios émettrices , le contraignant à céder . "Avoir un poste de TSF , c’est solennellement entrer en guerre":  la multiplication des voix , algériennes étrangères ou françaises , en trois langues , la propagation des informations , je cite ‘la désacralisation de la voix du dominant’ , augmente la force d’un peuple jadis vivant dans son silence , l’habituant à une voix autrefois étrangère et redoutée , celle de la radio , qui aujourd’hui (1959) réveille en lui une curiosité positive quant à l’avancement de sa révolution , une voix désormais familière , qui accompagne ses soirées .

Cet intérêt pour les droits du colonisé, et du minoritaire, nait aussi de la vie de Frantz Fanon, pour rappel : martiniquais noir, vivant dans une société française majoritairement blanche. Le titre d’un de ses essais d’ailleurs, "Peau noires , masques blancs" nous donne un avant gout de cette supériorité du blanc sur le noir , de par sa couleur de peau mais aussi de part le colonialisme, et les efforts d’adaptation du noir ou de ressemblance de quelques uns à la société blanche .Il y dénonce le racisme quant à son ethnicité, mais aussi le changement d’un noir après avoir vécu dans une société blanche comme, il y cite , l’abandon de l’utilisation du créole par les émigrés de Martinique, même en revenant à leur terre mère, ou l’oubli de leur langue (inexistant , ou peut être désiré ? )  La négritude et le racisme est vérité absolue, et ne disparaitront pas, ce sont ici une des séquelles du colonialisme, ainsi une des finitudes de ses études.

Frantz Fanon, décédé en 1961, demandant à être inhumée en Algérie, n’a pas assisté à l’indépendance de cette dernière. En ange veille t’il peut être sur elle ou sur Mohamed Mbougar Sarr, prix Goncourt 2021, deuxième écrivain noir le recevant cent ans après le premier, René Maran ?   

                                                                                                                                               Manel HALLI

(Partenariat "LIBERTÉ-Digital"/"Charrette-club")

 

 

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