L’architecture est d’abord, et avant tout, une démarche conceptuelle, une idée en perpétuelle mouvement, qu’on esquisse, qu’on change, qu’on abandonne, et qu’on reprend.
Au cours de ces va-et-vient, on s’interroge sur l’esthétique, la fonction, voire le message de sa création, on se met à la place des usagers pour mieux penser et dessiner son espace. On s’imagine tantôt maman avec trois enfants, parfois en jeune couple, ou encore avoir 6 ans.
Ces exercices de projections sont indispensables pour déceler les dysfonctionnements des projets, pour savoir où mettre une rampe, ou disposer une fenêtre ou une entrée.
Mais trop souvent dans ce va et vient conceptuel, les laissés pour comptes sont les personnes en situation de handicap.
Les raisons sont nombreuses. L’idée la plus évidente est tout simplement celle de l’oubli, de l’omission. La plupart des gens étant valides, quand il se projette dans un espace ils ne pensent pas aux personnes en situation d’handicap. Cette "invisibilisation" des populations non valides, est à la fois cause et conséquence :
Comme les espaces ne sont pas pensés pour les personnes en situation de handicap, elles ne pratiquent pas l’espace. Comme elles ne sont que rarement vues dans ces "aires". Les concepteurs ne les inclues pas systématiquement dans leur conception.
C’est comme ça que ce perpétue ce cycle vicieux, qui prive , beaucoup d’individus, de rencontres, d’opportunités et de moment de vie.
Dès lors, la responsabilité de l’architecte est grande. Il est de son devoir de faciliter l’accès à toute la population, peu importe le degré de validité des personnes, et ce d’autant qu’ils disposent de tous les outils nécessaires dans sa panoplie pour aider tout un chacun à mieux vivre l’espace.
C’est une idée à laquelle nous avons été nous-même sensibilisés durant notre cursus universitaire au niveau du DAA ( Département D’Architecture D’Alger ), dans le cadre du concours HI (Humanité Inclusive, anciennement Handicap international) ; qui avait pour but de rendre accessible notre département à tous. Exercice au cours du quelle nous avons pris connaissance des différents types d’handicap et de l’importance de répondre aux besoins de ces usagers spécifiques, et a la difficulté d’appliquer certains de ces éléments. Une rampe est infiniment plus vorace en espace qu’un escalier, et tout l’enjeu , pour l’architecte est de faire en sorte que toutes les populations aient un accès convenable à l’édifice. Le concours nous avait permis d’être initiés à ces questions aussi bien éthiques que conceptuelles.
Mais sans une intervention pareille, le handicap fini bien vite par prendre la forme d’un fauteuil roulant et sa solution, celle d’un escalier, ou d’une rampe mal dimensionnée au milieu d’escalier, beaucoup trop abrupte pour être pratiqué sans l’aide d’une tierce personne. Souvent ce sont des solutions de dernière minute, mal pensées, et mal exécutées, car la sensibilisation à cette thématique, et l’apprentissage des besoins spécifiques de cette catégorie d’usagers, reste malheureusement peu répandue.
A tel point qu’une réflexion inclusive des personnes en situation d’handicap est souvent le fruit d’une expérience personnelle, d’une rencontre avec un voisin à mobilité réduite forcé de monter des étages étages d’un bâtiment colonial, nullement réfléchie pour un individu en fauteuil roulant. Ou d’un proche mal voyant, qui a grande peine à ce repérer dans des administrations à la signalétique trop petite, et pas assez claire.
Ces exemples anecdotiques mettent en avant un autre problème, celui de la pluralité des handicaps. En effet, si un ascenseur, et des rampes sont effectivement des tentatives louables pour une plus grande accessibilité de l’espace, il reste des moyens peu commode pour faciliter au mal entendant et au mal voyant la consommation de l’espace. Que faire alors des "handicapés mentaux" ? Un travail de fond est indispensable. Il s’agit de faire prendre connaissance des enjeux de ces gestes ignorés, ainsi que de leur impact sur le quotidien des gens qui "pratiquent" nos espaces. Par exemple, le cas d'un lycéen mal voyant pour qui une bande jaune a été "dessinée" et qui mène à sa classe, peut être un élément primordial dans son parcours scolaire. Où encore faire bénéficier à cette frange de la population des reliefs sur les bords des trottoirs pour signaler leur fin.
Ainsi, il faut savoir reconnaitre les besoins de toute la population , du moins sa majorité , afin de produire des formes et des espaces qui correspondent le mieux à notre réalité, mais aussi à nos ambitions d'une société meilleure , car l’architecture est avant tout un idéalisme , celui d’une société unie, solidaire , cohérente , où il n’y aurait plus de laissés pour compte .
Ce n’est pas tant de tout savoir de tous les handicaps, mais belle et bien de prendre un moment pour se projeter, s’interroger, et vérifier que l’espace et bien le vecteur de rencontres et de rassemblements qu’on espère, et pas un énième monument à l’invisibilisation, et à l’ignorance .
A bien des égards nous avons tous des limites. Nous avons chacun des lacunes, et il est en notre pouvoir, à nous autres architectes, de faciliter au mieux l’existence de tout un chacun dans les édifices que l’on construit, d’aller vers une design plus inclusif, pour aboutir à une société qui l’est tout autant.
Benmici Bey Sid Ahmed
(Partenariat "LIBERTÉ-Digital"/"LEAD")