L’Actualité LA QUESTION MÉMORIELLE ANIME LES DÉBATS BEAUCOUP PLUS EN FRANCE QU’EN ALGÉRIE

Une Histoire à se réapproprier

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Hassane OUALI Publié 08 Février 2022 à 23:01

© D. R.
© D. R.

Confinée indéfiniment dans une posture de réaction, l’Algérie peine à produire son propre discours sur sa propre Histoire, dans ce qu’elle a de glorieux et de peu glorieux. 

Est-ce par une panne d’invention de l’avenir ou en raison de la non-résolution des contentieux historiques et ses prolongements actuels ? La question mémorielle liée à la guerre d’Algérie continue de structurer profondément les débats - enflammés - avec des prolongements politiques et idéologiques. Beaucoup plus en France qu’en Algérie. Le sujet occupe le cœur des polémiques hexagonales, accentuées par un contexte électoral bien particulier.

Décomplexée, la droite dure s’empare de la thématique et tente de refaire la “guerre”, mais aussi et surtout de régler ses comptes avec une migration qui pèse de plus en plus dans le jeu politique. De toute évidence, elle a réussi à imposer les termes du débat. La commémoration du 60e anniversaire des Accords d’Évian, qui mobilise les institutions universitaires, les intellectuels et les politiques avec une forte implication de l’État, comme en témoigne la multiplication de colloques, confirme, si besoin est, le poids considérable de la question coloniale dans l’imaginaire français.

Cela révèle aussi la complexité des rapports qu’a la France avec son passé, mais aussi et surtout la complexité dans ses relations avec l’Algérie. Par calculs politiques et idéologiques ou par démarche sincère, qui ont pour objectif de solder le compte avec un passé aux antipodes de la France des lumières et des droits de l’Homme, c’est toujours Paris qui écrit l’Histoire. Et quelle Histoire ? Celle d’une période qui implique directement l’Algérie, la terre sur laquelle s’est joué le drame colonial.

Un étrange paradoxe. Même ce qui symbolise la défaite de l’empire colonial et la Fête de la victoire pour l’Algérie, c’est encore la France qui jette la lumière, parfois de l’ombre, sur un événement qui est pourtant un moment décisif dans la conquête indépendantiste algérienne. Il est faux de dire que “cela regarde la France, c’est son problème avec son passé”.

Dans cette appropriation d’une date plus que symbolique, les faiseurs d’opinion sur l’Histoire s’adressent aussi au public algérien qui se retrouve immanquablement dans une position de consommateur passif. Ce sont eux qui donnent des sens - contradictoires - aux événements, à leurs acteurs et autres figures marquantes. C’est de bonne guerre !  Cette prolifération de débats et de productions éditoriales, soutenue par des interventions politiques au plus haut niveau, renvoie au silence incompréhensible qui domine du côté algérien. Confinée indéfiniment dans une posture de réaction, l’Algérie peine à produire son propre discours sur sa propre Histoire, dans ce qu’elle a de glorieux et de peu glorieux.

Le déséquilibre est manifeste. Et même lorsque la question mémorielle est convoquée dans les batailles politiques présentes, Alger se retrouve comme handicapée. Comme l’illustre la démarche prise par les deux chefs d’État, Abdelmadjid Tebboune et Emmanuel Macron, d’élaborer, chacun de son côté, un rapport sur “les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d'Algérie”. Pendant que Benjamin Stora remettait son texte à l’Élysée, contenant des préconisations pratiques, Alger, qui avait chargé Abdelmadjid Chikhi de la même mission, n’a rien produit. Du coup, c’est le rapport de Stora qui fait débat et polémique en Algérie. Politiques, intellectuels, historiens et journalistes commentent et critiquent à satiété les recommandations de l’historien français, oubliant celles de Chikhi qui n’ont pas vu le jour. C’est demander aux autres ce que nous refusons nous-mêmes d’accomplir. Cela renvoie également au dossier des archives de la guerre que l’on réclame à cor et à cri à la France, alors que les rares historiens algériens n’ont pas accès aux archives qui moisissent chez nous.

Ces exemples illustrent tragiquement cette incapacité ou ce refus outrageux à s’emparer du sujet de l’Histoire et de son écriture. Exit les célébrations “folkloriques” vidées de tout contenu sérieux, l’État algérien a de tout temps développé un rapport biaisé à la période coloniale fondé sur un récit national puritanisé, qui interdit toute possibilité de questionnement historique. Écrit dans la pure tradition stalinienne, ce récit sclérosé, érigé au rang du sacré, a eu des conséquences fâcheuses.

Des figures centrales du mouvement national et de la guerre de Libération se retrouvent bannies. Plus grave encore, des actes fondateurs de la lutte de Libération subissent, 70 ans après, un révisionnisme éhonté, et des opposants à la guerre des artisans de l’indépendance, faisant passer les architectes de la Révolution pour des “traîtres à la nation”. Pour disqualifier les valeurs modernes du Congrès de la Soummam, l’on attente à la figure d’Abane Ramdane. Pareil pour les Accords d’Évian qui actent la naissance de l’Algérie indépendante et pour celui qui les paraphe, Krim Belkacem, les “planqués des frontières” lancent une campagne insidieuse sur des prétendus “accords secrets” favorables à la France. Une manière aussi de mettre à la marge le “Lion du djebel”. 

Même l’héroïne Djamila Bouhired n’a pas échappé à l’ignominie. Ce sont là quelques-unes des démarches qui ont pour finalité la légitimation des idéologies rétrogrades qui tentent de soumettre la société d’aujourd’hui. Une entreprise de dépossession à l’origine des multiples dérives politiques qui conduisent le pays dans une impasse.
 

Hassane OUALI

 

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