“Khtini menhoum !” (Épargnez-les moi !) Cette litanie, rapportée par l’universitaire Yasser Boulmezaoud au sujet d’un cliché fort ancré dans la communauté algérienne au Canada, qui veut que pour réussir son intégration socioprofessionnelle dans la société d’accueil, un émigré algérien doive “s’éloigner” de ses compatriotes émigrés, renseigne sur la difficulté à bâtir une diaspora efficace et performante capable de favoriser l’intégration de ses membres et de contribuer au développement du pays natal.
L’universitaire algérien intervenait samedi lors d’une vidéoconférence animée par le professeur Taïeb Hafsi, titulaire de la chaire de management stratégique international à HEC Montréal, sur “Le rôle de la diaspora dans le développement socioéconomique de l’Algérie”.
La rencontre a été organisée par la Fondation Club Avenir, en collaboration avec le réseau Lecodev et la Jeune Chambre de commerce algéro-canadienne.
Reconnaissant d’emblée cette difficulté de la communauté algérienne à se constituer en réseau, en dépit d’un potentiel indéniable, M. Hafsi, s’appuyant sur des études, dont celle de Boulmezaoud, évoque des pistes de réflexion sur la manière d’inverser le réflexe pour dépasser ce quiproquo typiquement algérien : “Khtini menhoum !” L’idée d’arriver, par exemple, à une sorte de congrès n’est pas en soi mauvaise, pour peu qu’on conçoive pour le mieux la gouvernance de cette structure, a nuancé l’intervenant.
Hafsi s’est interrogé sur les contributions que pourrait apporter la diaspora au pays natal. Les transferts de fonds, l’investissement via un fonds dédié, la main-d’œuvre qualifiée, l’expertise pluridisciplinaire et la participation au développement institutionnel sont autant de chantiers qui peuvent mobiliser les compétences algériennes à l’étranger. Selon un rapport de la Banque mondiale, les fonds rapportés par la diaspora avoisinent à peine les 2 milliards de dollars annuellement.
Entre six et sept millions d’Algériens résident pourtant à l’étranger, dont quelque 100 000 au Canada, avec près de de 80% dans la grande région de Montréal. Le conférencier cite l’exemple de la Chine, qui a fait “un travail remarquable” pour mobiliser sa diaspora.
L’universitaire s’est attardé sur le chantier de la participation au développement institutionnel, faisant état au passage d’un délitement de l’État, que la fuite des cerveaux n’a fait qu’amplifier. “L’apprentissage de la démocratie est long et difficile”, mentionne M. Hafsi, avant de faire état de la disponibilité de talents dont il faut valoriser l’apport.
Le conférencier a fait sienne la conclusion de l’Organisation internationale pour les migrations, selon laquelle “les diasporas peuvent jouer un rôle essentiel dans des situations de crise”. L’expert en management recommande de créer des mécanismes pour faciliter l’apport d’une diaspora structurée.
“Mais le processus ne peut pas être dirigé par le sommet, il y a trop de méfiance vis-à-vis de l’État. Il faut donc encourager des actions entrepreneuriales”, explique-t-il, ajoutant que les entreprises ont un rôle dynamique à jouer dans ce projet ambitieux. Encore faudrait-il abolir ce préjugé : “Khtini menhoum !”
De Montréal : YAHIA ARKAT