Triste et tellement absurde. Si l’on m’avait dit qu’un jour, à mon âge avancé, j’aurais à faire un article pour le dernier numéro du quotidien Liberté, je n’y aurais certainement pas cru, cette échéance étant inimaginable de mon point de vue. On en est là, malheureusement, et me voilà devant une feuille désespérément blanche, tentant d’y coucher mes pensées, images et sentiments, à la veille de l’ultime tirage de ce journal, que l’on a tué délibérément, sans raison valable, sans justification. Le cœur lourd et pas inspiré du tout, je vais donc me prêter à cet exercice ingrat, sans être vraiment sûr du résultat tant il est ardu.
Mes pensées vont d’abord à toutes celles et ceux qui fondaient leurs espoirs en cette entreprise et qui vont, du jour au lendemain, se retrouver sans emploi, ne sachant pas trop comment faire pour surmonter cette épreuve soudaine.
Etant proche de nombre d’entre ces journalistes, ces agents techniques, ces chauffeurs et ces fourmis anonymes qui n’ont jamais ménagé leurs efforts pour faire de Liberté ce qu’il a été, je sais que la plupart de ces désormais ex-collègues n’auront plus que les yeux pour pleurer, dès ce jeudi, et qu’ils auront fort à faire pour se remettre en selle pour un nouveau départ.
Il est vrai que, comme le dit l’adage populaire, “lorsqu’une porte se ferme, aussitôt, dix autres s’ouvrent”, mais rien n’est moins évident pour tous, dans le contexte économique difficile que traverse le pays.
Je pense à ces milliers de lecteurs qui ne trouveront plus leur quotidien préféré sur les étalages, à compter de samedi prochain, ne sachant plus, alors, quel autre titre choisir pour s’informer sur ce qui se passe dans notre grande Algérie. Une publication qui soit de la même veine que ce compagnon du petit matin, qu’ils ont appris à aimer pour sa pertinence et son audace au fil des trente dernières années. Il n’est pas présomptueux d’affirmer, en effet, que Liberté s’est fait une place de choix dans le paysage médiatique national et qu’il compte parmi les journaux que l’on peut ne pas aimer, mais que l’on ne peut ignorer. Et ce n’est pas venu tout seul. Toutes les équipes de professionnels qui se sont succédé à la tête de ce journal, depuis sa création, se sont donné les moyens de savoir et d’en informer quoi qu’il en coûte. Cela en tissant un réseau conséquent de correspondants à travers pratiquement toutes les wilayas et en permettant à ceux-ci de recueillir les préoccupations des habitants des contrées les plus éloignées et de les porter à la connaissance de qui de droit. Cette pratique du factuel et de l’information de proximité lui a valu de gagner en crédibilité et, par conséquent, en popularité, puisqu’il a un lectorat assidu jusque dans les villes et villages les plus reculés de l’Algérie profonde.
Tout à mes pensées... Je me rappelle qu’en 1995, lorsque j’ai été recruté par ce journal, je ne savais pas trop à quel genre de personnes j’allais avoir affaire et je nourrissais une certaine appréhension à cause de la mentalité autonomiste qui était supposée y prévaloir. Tout le monde s’accordait à dire, en effet, à l’époque, que cette publication n’était pas un quotidien d’information à proprement parler, mais plutôt un organe de propagande d’un parti politique régionaliste. Au fil du temps et au vu de l’importance de l’espace rédactionnel qui a toujours été réservé par la rédaction aux correspondants des différentes régions (ils seront nombreux à témoigner de cela, du moins je l’espère), j’ai pu me rendre compte que Liberté était, au contraire, un journal de dimension nationale confectionné par et pour des Algériens. J’en veux pour preuve l’admiration que vouent ses lecteurs fidèles des quatre coins du pays à ses reportages courageux et à son travail pour expliquer ce que sont la démocratie et les droits fondamentaux du citoyen.
Cela dit, tout n’était pas idyllique et parfait à Liberté, malgré l’ambiance familiale qui y a régné. Il serait malhonnête de passer sous silence certaines injustices commises à l’encontre de talentueux journalistes, de vrais professionnels, qui n’auraient jamais dû quitter la rédaction de ce journal, mais qui en ont été éjectés par des opportunistes sans vergogne.
Pour revenir à cet ultime numéro et à ce qui mérite d’y être écrit pour la postérité, j’aimerais adresser mes sincères encouragements à tous ceux qui s’apprêtent à quitter le siège du journal, d’Oued Romane, et à leur souhaiter bonne chance pour l’avenir. J’aimerais aussi remercier les femmes et les hommes, journalistes et employés de tous les services de Liberté que j’ai pu croiser ces dernières années pour leur amabilité et pour les chaleureux “tonton” dont ils m’ont toujours gratifié. À tous, je dis haut les cœurs et bon vent !
Par : AHMED ALIA
Correspondant de “Liberté” à Souk Ahras et Annaba
Il a rejoint le journal en 1995