Liberté. Voilà une icône du journalisme contemporain que j’ai toujours voulu rejoindre depuis sa naissance, en 1992, alors que j’étais encore étudiant en sciences de l’information et de la communication, mais aussi journaliste au quotidien L’Opinion (1992-1995) et producteur à la Radio nationale (1990-1995), et ce, après avoir fait mes premiers pas, en 1990, au quotidien Le Soir d’Algérie, à la rubrique culture avec le regretté Allaoua Aït Mebarek. La situation sécuritaire du pays se dégradait. Des membres de ma famille, des amis et des voisins m’avaient alors déconseillé de poursuivre mon aventure dans la presse. Mais le choix de ce métier me dictait le devoir d’affronter les aléas de la vie. C’est le prix à payer. Animé et convaincu par les idéaux que portait la presse à l’époque, comme la liberté d’expression et la démocratie, j’ai poursuivi ma mission en collaborant au quotidien Le Journal, lancé par Chérif Ouzani, et l’hebdomadaire Ruptures, lancé par les grandes plumes, dont le défunt Tahar Djaout. Au 37, rue Larbi-Ben-M’hidi, des amis et de grands confrères confectionnaient, au quotidien un grand journal, Liberté. Chaque soir, on partageait ensemble les meilleurs moments de la journée à la cité universitaire Taleb-Abderrahmane de Ben Aknoun. Certains arrivaient souvent en retard au campus. Les horaires de bouclage changeaient au fur et à mesure que l’Algérie sombrait dans l’extrémisme islamiste et les lâches attentats qui ciblaient le pays entier. Motivés et déterminés à faire face à la nébuleuse islamiste et terroriste, on veillait jusqu’à des heures tardives de la nuit pour attendre les nôtres arriver au campus. Certains étaient contraints de changer de lieu de résidence pour brouiller les pistes aux collaborateurs des groupes armés qui investissaient davantage le Grand-Alger.
Je devais faire mes premiers pas à Liberté en 1996, mais j’avais fait l’objet d’un ordre d’appel pour effectuer mon service national. Abrous Outoudert, alors directeur de la publication de Liberté, m’avait assuré qu’après mon service national, je pourrai rejoindre l’équipe du journal. Chose faite en 1998. J’ai retrouvé une grande famille qui cultivait encore les mêmes idéaux, ceux de la liberté de la presse et d’expression et les valeurs républicaines. Quoi de mieux que de retrouver une équipe avec laquelle j’ai partagé près de 24 ans. Un demi-siècle de ma vie, jalonné par des hauts et des bas. Mais travailler dans un climat aussi professionnel que familial ne pourrait être qu’une valeur ajoutée dans ma carrière de journaliste. Il est vrai que les années 1990-2000 étaient dures, très dures pour la presse. Mais, l’approche du défunt président déchu Bouteflika pour “réconcilier” les Algériens a constitué un virage décisif pour le pays.
Huit mois sans voir les parents !
En 2001, je suis parti en mission en Kabylie pour réaliser un reportage. Alors que je sillonnais certains villages à la rencontre des Patriotes, j’ai assisté à l’enterrement d’un jeune militaire appelé, assassiné par les hordes terroristes à Skikda. Dans la foulée, on racontait qu’un repenti faisait la pluie et le beau temps dans la région. Révolté, à l’instar des citoyens, j’ai consacré un long passage de mon reportage à ce fait gravissime. La réaction ne s’est pas fait attendre et ma famille a immédiatement été interpellée par des proches dudit repenti, qui croyaient tout se permettre. Contraint de mettre ma famille à l’abri, je n’ai pas remis les pieds dans mon village natal pendant huit longs mois. Cela ne m’a pas empêché de poursuivre ma mission de journaliste et de sillonner d’autres régions du pays.
Le Radar, les frontières, l’automobile, la justice…
En 2002, l’ancien directeur de la rédaction, Hassan Ouandjeli, décide de me nommer à la rubrique Le Radar. Une mission qui va durer jusqu’à 2009. Cette responsabilité ne m’a pas empêché d’exercer dans d’autres services. En 2002, j’avais lancé le supplément Liberté-Numérique dédié aux TIC. De 2006 à 2012, j’ai sillonné plus de 40 wilayas par voie routière. Liberté m’a permis d’aller vers cette Algérie profonde pour narrer le vécu des contrées enclavées et/ou en voie de développement, des frontières où les trafics de drogue, d’armes et de marchandises faisaient fureur, de ces sentinelles qui veillent au grain dans l’un des plus grands désert du monde.
Les multiples changements opérés à Liberté, que ce soit en 2003, en 2006 ou encore en 2009, qui obéissaient à des considérations strictement politiques, n’ont pas affecté ma profession de journaliste, moi qui n’ai jamais adhéré à un parti politique ou une association quelle que soit sa nature. Après ma démission de la rubrique Le Radar, je me suis intéressé au secteur de l’automobile. C’est alors que j’ai lancé la page Liberté-Auto, à l’instar de ce qui se faisait chez nos confrères d’El Watan ou encore du Soir d’Algérie. Jamais Liberté n’a raté une information sur ce secteur, encore moins un événement national, régional ou international. En parallèle, je faisais mon travail en Nationale. Entre 2010 et 2012, de lâches énergumènes, sous couvert de l’anonymat, sont allés jusqu’à me menacer…de mort ! Rien que cela quand on exerce son métier correctement ! En 2012, j’ai fait l’objet d’une convocation au tribunal de Blida pour avoir dénoncé un pseudo-entrepreneur qui trafiquait le couffin du Ramadhan en introduisant dans le lot des produits cosmétiques pour fourguer des produits de large consommation dont la date était arrivée à expiration. Après huit auditions, j’ai été acquitté. L’aventure se poursuivra avec autant d’anecdotes, de missions, y compris à l’étranger.
Procès, Hirak et clap de fin
L’année 2014 m’a marqué à plus d’un titre. Le secteur automobile qui avait atteint son summum, non pas dans l’investissement, mais dans les importations, sombre vite dans le scandale. J’ai osé aller plus loin que les couvertures médiatiques ordinaires pour déterrer les dessous d’un secteur gangréné par la corruption. Des remarques désobligeantes, j’en ai subi ! Parce que c’est Liberté “qui écrit et qui révèle”. En un mot, qui “dérange”. Quatre ans plus tard, les multiples dossiers que j’avais réalisés ont fini par me donner raison : le secteur de l’automobile se dirigeait vers l’agonie. Le chaos. Les patrons d’usine que j’avais connus, que ce soit dans les événements ordinaires ou dans les salons nationaux et internationaux, ont tous fini derrière les barreaux, d’autant que le Hirak a mis une grande pression sur la justice.
Que d’expériences !
Alors que la Covid-19 battait son plein, un autre changement intervient à Liberté. Cette fois, on a eu droit à un jeune confrère qui a roulé sa bosse au quotidien El Watan, en la personne de Hassane Ouali. On vivra avec lui une belle expérience de deux années. Que ce soit en qualité de directeur de la rédaction et de directeur de la publication, on a confectionné Liberté dans une ambiance exceptionnelle. Sans a-priori politique, il a libéré les énergies.
À sa façon. Malgré les plans de redressement entamés par ses prédécesseurs, il a réussi à souder l’équipe.
Jamais deux sans trois, Abrous Outoudert revient aux commandes du journal. Mais pas pour longtemps. Trahi par “une feuille de route” qui ne tenait guère…la route, il assistera, impuissant, à la fermeture de Liberté pour lequel il avait passé, durant les années de braise, 30 jours derrière les barreaux.
J’écris ces lignes, ces dernières lignes, en vacillant. Car je ne crois toujours pas à la disparition de Liberté du paysage médiatique.
À celles et ceux qui ont porté Liberté depuis sa naissance, celles et ceux qui ne sont plus de ce monde, certains emportés par la nébuleuse terroriste, d’autres par les catastrophes naturelles et plusieurs d’entre eux par la maladie, hommages à vous. Sans exclusive.
Par : FARID BELGACEM
IL A REJOINT LIBERTÉ EN DÉCEMBRE 1998