Comme d’une chrysalide
Elle sort de la nuit
Sort de l'oublie
Pour un autre voyage
Dans la lumière
Les yeux ne peuvent la suivre
Tant elle brille
Une étoile filante
Elle sourit
Au jour qui se lève
Au passant qui passe
À la vie qui s’agite
Au lever de soleil sur la montagne
Ce n’est pas une mendiante égarée
Une vagabonde sans attache
Une illusion du rêve
C’est l’espérance en marche
Sur le chemin de la fontaine
La source de vie
Elle porte un poème
Une prémonition
Un chant secret
Hors du voile
Hors de l’arbitraire
Hors de la tyrannie
Elle veut vivre
Parler
C’est ce poème écrit, il y a quelque années, dédié à cette “Algérie” rêvée, qui a refait surface juste après l’annonce de la fermeture de Liberté. Un journal auquel il va être difficile de dire au revoir et dont il est encore difficile d’en raconter les moments passés dans ses locaux. Une aventure qui a débuté, dans ce journal qui avance, bien avant 2010. C’était en 2005. J’avais 23 ans. J’étais encore étudiant à l’École des beaux-arts d’Azazga (ERBA). Les quelques piges me permettaient de couvrir un peu mes frais d’étudiant. Du papier, quelques crayons et de la peinture. De quoi dessiner un avenir. C’est aussi le début des couvertures sur un terrain plutôt “rocheux”, avec des articles réalisés à travers les localités montagneuses d’Aïn El-Hammam, d’Iferhounène et d’Illiltène. Liberté était la voix de cette colline oubliée.
Ainsi, le quotidien Liberté était devenu ma deuxième école. Il avait forgé en moi cette passion de l’écriture, née dans la douleur des années de braise. Un acte de résistance hérité d’un père, Mohand Amokrane Tighilt (M. A. T.), lui aussi journaliste durant les années 90. Il avait exercé au Pays, au Matin, au Siècle, à Algérie Hebdo…, des titres de journaux aujourd’hui disparus et que Liberté s’apprête à rejoindre, ce jeudi. Une journée Fatidique.
J’ai rejoint l’équipe du bureau de Tizi Ouzou, en 2010. C’était comme dans une fourmilière avec une équipe rodée à un terrain souvent houleux. C’était la petite famille. “Nous sommes tous des frères, dh Athmathene”, pour ainsi paraphraser M. Haouchine. On passait plus d’heures ensemble qu’en famille.
Il était aussi une école de la vie. Un lieu où chaque jour transitent des voix. Celle du peuple. De l’Algérie profonde. C’était ce lieu où les gens venaient raconter leurs maux et c’était à nous de trouver les mots nécessaires. À nous de transmettre cette voix, celle des sans-voix, dans l’espoir de trouver un écho et de le faire parvenir en haut lieu. Il était le porte-voix des syndicalistes, cet espace de foisonnement. Une porte ouverte sur la culture, par la voix des écrivains, de poètes, d’hommes et de femmes de théâtre et d’artistes de divers horizons qui y trouvaient un espace d’expression.
Ce bureau garde aussi la mémoire des événements qu’a connus Tizi Ouzou. Des événements qui ont marqué mon passage dans ce siège et dont l’aventure s’achève aujourd’hui par un départ forcé. Il a ainsi été décidé de remettre dans la cage des aveugles un oiseau de lumière, nommé Liberté.
Je tenterai d’en résumer quelques anecdotes. Des événements marquants. Des bribes de souvenirs. Des moments dans lesquels il fallait garder ses esprits pour voir plutôt plus “clair” et aller vite, au rythme de l’information.
À commencer par ce 14 août 2011 lorsqu’un “démon” est venu faire exploser sa ceinture, au cœur de la ville. C’était en plein Ramadhan. Un kamikaze s’est fait exploser devant le commissariat de la ville. Il était 4h du matin. L’attentat avait causé 29 blessés, dont 8 policiers.
Au téléphone, c’était la voix de Yacine, notre chauffeur, annonçant la nouvelle. “Boumba”, disait-il. À notre arrivée, des bouts du corps déchiqueté du terroriste jonchaient encore le sol. Une chair noirâtre glissait sous nos pieds. Par un détour, j’accède au siège de Liberté, après un passage aux urgences du CHU. Elles étaient débordées et les gémissements des victimes fusaient de partout. Au bureau, tout a été détruit par le souffle. Malgré l’effroi, toute l’équipe du bureau était là. On avait travaillé, naturellement, au milieu des débris !
Je me rappelle aussi du glissement de terrain d’Illiltène qui a failli coûter la vie à notre chauffeur. C’était en janvier 2013. La montagne avait dévalé, menaçant d’emporter un village et le chef-lieu communal. En reportage, Yacine, le chauffeur, et un habitant, nous avons été surpris par une coulée de boue qui avait charrié des tonnes de pierres et de troncs d’arbre. Nous avions été alertés par les appels de vieilles femmes du village Aït Aïssa Ouyahia qui guettaient le mouvement de la coulée. Dans notre escapade, le chauffeur échappera à une mort certaine en essayant de traverser un pont qui fut emporté par la coulée. Il assistait, terrifié, à cette scène qui aurait pu être fatidique. Le reportage a été maintenu et publié le lendemain.
Mes cogitations m’invitent aussi à revisiter la date du 20 avril 2014. Ce qui était auparavant une journée de mémoire, allait devenir celle d’un cauchemar orchestré. À peine arrivé devant l’entrée principale de l’université Mouloud-Mammeri, j’aperçus une armada de policiers bloquants la foule. C’était la matraque contre un étendard. Me rapprochant un peu plus, j’aperçus d’anciens militants d’Avril 80 que j’ai questionna à la hâte. Il y avait surtout de la colère à après cette interdiction. Signe d’un affrontement imminent. À peine terminé, qu’une pluie de matraques s’abattit sur la foule. C’était la première fois qu’une marche du 20 Avril était réprimée à Tizi Ouzou, suscitant des interrogations sur la scène politique. Il y avait des blessés de part et d’autre. L’APW avait même initié une commission d’enquête, mais sans suite.
De ces moments mouvementés, je garderai indélébilement les marches du Hirak, du 22 Février 2019. Des mois de marche et de travail sans répit, avec un peuple fabuleux et uni pour le changement. C’était l’espoir en marche. La rue avait regroupé toutes les couches sociales. Elles avaient le même rêve. Voir enfin l’Algérie sortir des ténèbres. Des moments vécus au détriment de nos familles car nous étions souvent pris et loin d’eux, mais plus proche du peuple en devenir. Une longue marche inachevée.
Puis, vint le retranchement. La Covid-19 en avait décidé ainsi. Malgré l’angoisse face à ce virus invisible, il fallait bien porter la voix et la détresse des malades, et tout cet élan de solidarité formé autour d’eux. L’on assistait à la renaissance de la solidarité en Kabylie. Les villageois se mobilisèrent spontanément pour doter des hôpitaux publics en centrales d’oxygène, de matériels de protection et même transformé d’anciennes bâtisses en centre d’accueil pour les malades. Encore ce peuple fabuleux.
À cette période de la Covid s’est agrippée une autre période douloureuse. C’étaient les incendies. Là encore, il fallait investir le terrain pour raconter les faits. Raconter la détresse des villageois, et puis encore, cette solidarité populaire exemplaire qui a suivi le drame. La Kabylie renaîtra délicatement de ses cendres.
Je mettrai fin à ce voyage inopiné dans les méandres de ma mémoire encore sonnée par un coup de tampon. Une visite à la hâte dans mes souvenirs. Dans cette halte, Houria, elle, continue d’avancer. Elle n’abdiquera pas. Des journaux naîtront encore dans ce chemin de la Liberté.
... Emportée par le vent jaloux
Ton nom se disperse
Dans la lumière
Tu deviens une multitude de noms
Liberté…