Pneumologue libéral et ex-maître assistant au CHU Nedir-Mohamed de Tizi Ouzou, le Dr Rachid Chahed revient, dans cet entretien, sur les derniers chiffres relatifs à la pandémie de coronavirus et l’état de relâchement général constaté depuis plusieurs semaines. Il appelle à la vigilance afin d’éviter de donner l’occasion au virus de ressurgir. Il a aussi abordé le problème du Covid long et la nécessité d’une prise en charge adéquate.
Liberté : Depuis que le virus se fait rare, l’on parle de plus en plus de Covid long. De quoi s’agit-il exactement ?
Dr Rachid Chahed : C’est un point très important, voire le sujet d’actualité. Il est de notre devoir d’éclairer l’opinion publique par rapport au Covid long. Effectivement, la Covid se divise en deux parties. Il y a la forme aiguë, et c’est là que le malade risque d’être hospitalisé. Il a de la fièvre ou des symptômes qui ressemblent à ceux de la grippe et qui, souvent, évoluent favorablement et, parfois, nécessitent une hospitalisation. À partir de cette période, il y a ce qu’on appelle le Covid long, initialement défini un mois après la contagion. Maintenant, les experts disent que c’est trois mois après. Ce sont, en effet, des symptômes qui n’ont pas de substratum anatomique. On ne doit parler de Covid long qu’après avoir éliminé toute maladie qui pourrait s’associer aux suites du Covid-19 car après ce dernier, le malade peut faire une anémie, une maladie cardiaque, peut garder des taches au niveau des poumons. Ces signes ne sont pas du Covid long, mais des séquelles du coronavirus. Pour nombre de patients, même si la fréquence n’est pas bien connue et même si la maladie a été légère, on peut développer un Covid. Du coup, on peut dire que faire un Covid long n’est pas étroitement lié à une forme grave de Covid-19 et le contraire n’est pas vrai aussi. Cela veut dire que certains patients qui ont eu une maladie très légère peuvent développer un Covid long. Et cela touche surtout la femme.
Qu’en est-il des symptômes du Covid long et du traitement qui doit y être associé ?
Les symptômes sont variés et divers. Cela peut commencer par un simple étourdissement, des vertiges, un manque de concentration, des tremblements, des palpitations, des essoufflements... Et on peut faire tous les bilans du monde, on ne trouve rien. Ce sont donc des symptômes subjectifs rapportés par le patient mais qui sont, il faut le souligner, très gênants. Ce qui est inquiétant aussi, c’est que les problèmes anxio-dépressifs ont sensiblement augmenté depuis le début de la pandémie et certains relient parfaitement le Covid long à la dépression nerveuse qui a augmenté dans des pays comme la France, où des études ont été élaborées. C’est un sérieux problème de santé. Ce Covid long n’est pas de la blague. C’est une chose qu’il faut prendre très au sérieux. Comme précisé auparavant, il n’y a pas de substratum anatomique donc il n’y a pas de traitements codifiés, d’où l’importance de la prise en charge psychologique.
D’un autre côté, Il est à souligner que le Covid-19 peut être un starter qui donne un coup de fouet à une maladie dormante sournoise, comme la polyarthrite rhumatoïde ou la sclérodermie. Dans ces situations, ce sont des maladies qui évoluaient sournoisement mais le Covid va les fouetter. Ce n’est pas un Covid long, mais un déclenchement de la maladie qui existait initialement. Dans le Covid long, il n’y a pas de maladies proprement dites, mais un ensemble de symptômes qui peuvent être nerveux, articulaires, cardiaques, digestifs, qui vont perturber la vie de nombre de malades.
Quelle est votre lecture des derniers chiffres relatifs au Covid-19 enregistrés en Algérie ?
On ne peut pas faire une lecture des chiffres relatifs à la pandémie sans parler de la tendance baissière à travers le monde, car il s’agit d’une pandémie. Si on voit réellement ce qu’il se passe dans les pays voisins et ceux de l’autre rive de la Méditerranée, on s’aperçoit que les chiffres ont chuté, et ce, en dépit de l’inexistence d’indices épidémiologiques fiables car il y a plus que les chiffres rendus publics. Et il faut souligner que l’on ne dépiste pas tous les patients atteints de Covid-19, cependant, nous avons des indices indirects, dont le nombre de patients en consultation et le nombre de formes hospitalisées.
En effet, tous les confrères sont unanimes : au niveau de la consultation et dans les services dédiés au Covid-19, les chiffres ont sensiblement baissé. Pour l’illustration, pour cette journée (17 mars 2022, ndlr), mon confrère le Pr Djebbari, chef du service de pneumologie du CHU de Batna, vient de me confirmer qu’il n’a aucun cas de Covid hospitalisé, et ce, pour la première fois depuis le début de la pandémie. Cela veut dire que la décrue est là. Cependant, les questions que nous devons nous poser sont : combien de temps cette décrue va-t-elle durer ? Est-ce la fin de la pandémie ou seulement la fin d’une vague ?
Dans plusieurs pays du monde et en Algérie, il y a un allègement des mesures barrières et de la prévention, et un relâchement total. Cela peut-il être dangereux ?
Dans plusieurs pays européens, l’on constate qu’il y a un allègement des protocoles sanitaires. En France par exemple, depuis le 14 mars, hormis dans les transports publics et les services de soins, l’on peut se passer du masque de protection. En Angleterre, cela a été fait bien avant. Mais en Chine, nous apercevons des signes inquiétants au point que plusieurs grandes métropoles ont été confinées. On ne peut pas dire que c’est dramatique, mais le fait qu’il y ait des régions encore confinées dans le monde et connaissant la facilité des déplacements à travers le monde, l’épidémie peut facilement ressurgir. Nous parlons donc d’un optimisme mesuré. Nous pensons, certes, que c’est la queue de l’épidémie, mais il faut rester vigilant.
Pour toutes ces raisons, j’appelle à ce que dans notre pays, il y ait des recommandations de la tutelle, surtout à l’approche du mois de Ramadhan où l’on assiste à des regroupements dans les marchés, les mosquées, les cafés et autres lieux de rencontre. Il faut appeler à la vigilance et au respect des mesures de prévention, dont le port du masque et la distanciation physique.
Déjà que nous n’avons jamais été bons en matière d’application des gestes barrières même quand nous avions des pics, nous remarquons ces derniers jours un relâchement total inquiétant de la part de la population. Cela n’est pas normal car la maladie n’a pas encore dit son dernier mot ! Et puis, c’est un virus déroutant dont nous ne connaissons pas tous les secrets.
à mon avis, il faut un rappel à l’ordre. Nous sommes, certes, fatigués de ce virus qui est parmi nous depuis deux ans, mais nous n’avons d’autre choix que de respecter les mesures barrières, voire d’assurer le minimum en matière de prévention.
En Algérie comme dans plusieurs pays d’Afrique, le coronavirus n’a pas été aussi meurtrier que dans d’autres continents. Comment expliquez-vous cela ?
On va se projeter dans la première et la deuxième vague. La première a été très meurtrière en Europe et aux États-Unis. La gravité de la maladie se mesure par la virulence et à l’état de l’hôte, à savoir les comorbidités et l’âge. La population européenne et occidentale est une population vieillissante qui est maintenue artificiellement. Ils ont beaucoup de moyens médicaux que nous n’avons pas. Nos patients lourds décédaient parce que nous n’avons pas les structures et les moyens adéquats pour les prendre en charge.
Par ailleurs, il faut noter qu’il y a eu méconnaissance de la maladie donc, on n’a pas utilisé les bons médicaments tels que les corticoïdes et les anticoagulants. Ce n’est qu’après la première vague qu’on a appris à les connaître et à maîtriser leur utilisation. Leur apport a nettement diminué la mortalité. En Algérie, il est vrai que les premières vagues n’ont pas été aussi meurtrières, mais celle du Delta l’a été.
Pour répondre à votre question, en voyant le continent africain où il y a peu de moyens et où il y a moins de morts qu’en Europe et qu’aux États-Unis, cela reste énigmatique. Il faut des études pour répondre avec exactitude à cette question car le facteur génétique pourrait être derrière ces chiffres moins importants que sous d’autres cieux. On peut aussi évoquer l’éventualité que le virus est autre que celui qui a fait, ailleurs, des ravages dans les vies humaines. L’on note aussi qu’Omicron a été, Dieu merci, moins meurtrier.
Interview réalisée par : Faouzi SENOUSSAOUI