Hassan Rachedi, président de l'Association pour la promotion de l'entrepreneuriat et de l'innovation (Aspein) évoque dans cet entretien la problématique du recyclage, dans un contexte global de gestion intégrée des déchets.
Liberté : Même s’il est toujours d’actualité, le recyclage des déchets ménagers en est toujours à ses balbutiements. Comment analysez-vous cette situation ?
Hassan Rachedi : Effectivement, mais on ne peut réfléchir sérieusement à la problématique du recyclage sans la situer dans le contexte global de la gestion intégrée des déchets qui est, en fait, une chaîne composée de plusieurs maillons, à savoir successivement : le tri sélectif, la collecte, la valorisation/recyclage, puis l’enfouissement des déchets résiduels. L’expérience a montré que si l’industrie du recyclage n’a pas démarré, ce n’est pas faute de volonté politique ou d’investisseurs potentiels, mais c’est surtout à cause de l’insuffisance de la matière première qui lui est nécessaire, c'est-à-dire que le déchet recyclable n’est pas disponible en quantité suffisante. Alors la question qui vient à l’esprit est la suivante : comment se fait-il que dans un pays où tout le monde se plaint de l’insalubrité du cadre de vie, où le ratio déchets/habitant ne cesse d’augmenter, on parle d’indisponibilité de déchets ? Cette question nous ramène à l’importance de la collecte, mais aussi à celle du tri sélectif à la source (au niveau des ménages). Il faut, en effet, que les déchets organiques humides (provenant de la nourriture) soient séparés des déchets secs (emballages) avant la collecte. Une fois ce travail réalisé, la collecte pourra se faire selon des rotations distinctes ou par l’utilisation de camions comportant deux compartiments, un pour chaque type de déchets. Ce n’est qu’à cette condition que le taux de récupération des déchets recyclables peut être amélioré. Tant que cette question n’est pas résolue, il n’y aura pas d’industrie du recyclage.
Devant leurs faibles performances, les responsables en charge de ces questions soulignent, à juste titre, l’insuffisance des ressources matérielles et financières, mais oublient de citer l’insuffisance des compétences opérationnelles au niveau local. Nous devons comprendre que la gestion des déchets est une affaire de professionnels. Plusieurs acteurs sont sur le terrain (services des APC, Epic propreté, Epic CET, collecteurs privés), mais pas de dialogue entre les acteurs, ni de coordination et encore moins de schéma directeur.
En avril 2019, l’Aspein a organisé un séminaire ayant pour thème le “Parcours d’accompagnement pour 20 entreprises vertes résilientes”. Ce projet portait sur l’incubation de 20 TPE qui interviennent dans le domaine de la valorisation des déchets. Presque quatre années plus tard, qu’en est-il de la façon d’entreprendre dans la valorisation des déchets en Algérie ?
Comme vous le dites si bien, nous avons ciblé les très petites entreprises qui interviennent dans la valorisation des déchets et notre objectif était de les doter d’un modèle résilient. Nous n’avons pas encore fait d’évaluation quatre ans après puisque cette période a été caractérisée par le hirak, puis la Covid qui ont fortement perturbé les activités. De ce que nous avons appris de cette expérience, je retiens certains aspects. Malgré les bonnes dispositions de la plupart des entrepreneurs que nous avons rencontrés, leur niveau de formation et leur capacité d’innovation, leurs entreprises n’ont pas montré une capacité à monter en puissance pour diverses raisons. En effet, ce sont globalement des entreprises qui souffrent d’une image socialement dévalorisée, particulièrement le métier de collecteur, ce qui ne facilite ni la stabilisation du projet ni sa croissance. Aussi, la faible barrière à l’entrée permet à tout un chacun de s’improviser entrepreneur dans le secteur ainsi que l’organisation embryonnaire de la micro-entreprise conçue pour répondre aux objectifs immédiats de l'activité. Les dirigeants sont alors embourbés dans les tâches routinières et il n’est même pas question de systèmes d’information et/ou de pilotage.
Parmi les autres raisons, l’importance des opérations non facturées parce que les clients et les fournisseurs refusent catégoriquement la facturation (pas de bilans comptables). Alors que toutes les entités rencontrées travaillent dans des sites en location, la fonction production ne répond à aucune norme, ce qui n’autorise pas la projection sur le moyen et le long terme.
Pour conclure ce point, je dirais que le modèle économique basé sur la micro-entreprise comme acteur majeur de la valorisation des déchets, n’est pas viable. Il est illusoire de croire qu’un tissu de micro-entreprises peut prendre en charge, seul, ce segment de l’économie.
La directrice de l'environnement de la wilaya d'Oran a indiqué que le taux de valorisation des ordures ménagères dans la wilaya ne dépasse pas les 8%. Selon vous, quelles sont les raisons de ce faible taux et quelles sont les pistes de réflexion à proposer pour y remédier ?
Selon les chiffres de l’Agence nationale des déchets (AND), les ordures ménagères se composent d’une partie humide pour 65% et d’une partie sèche qui représente 35% sur une quantité globale de 13 millions de tonnes/an. Si l’on exclut la partie humide qui ne fait l’objet d’aucun traitement hormis son enfouissement, il serait intéressant de savoir si ce sont 8% du total des déchets. Dans ce cas, je serais tenté de dire que le taux est appréciable. Ou alors 8% sur les 35%, ce qui nous ramènerait à environ 2%.
Si on veut augmenter les quantités traitées, il est important de mettre en place des centres de collecte des emballages provenant des activités commerciales dans les grands centres urbains, en nombre suffisant pour absorber la totalité des déchets disponibles.
Quant aux centres de tri situés au niveau ou à proximité des centres d’enfouissement technique, ils doivent sortir du traitement manuel des déchets actuels et faire appel aux nouvelles technologies dans leurs lignes de traitement. Cela dit, l’augmentation du taux de recyclage dans le segment des déchets secs ne peut se passer du produit du tri sélectif à la source (au niveau des ménages). Ce qui pose d’autres problèmes, à savoir : l’adhésion des populations ; l’entreposage, au niveau des voiries, de bacs de différentes couleurs et de grand volume en quantité suffisante ; la récupération (collecte) des déchets et l’entretien des bacs. Mis à part l’aspect organisation et gestion que nous avons abordé précédemment, se pose la question essentielle et cruciale du financement. Devant une situation similaire, la Belgique, sous la pression de la société civile, a appliqué le principe du pollueur/payeur. Ils ont dit qu’”il n’est pas normal que le cadre de vie soit pollué par toutes sortes de déchets (bouteilles en plastique, cannettes en aluminium, briques en carton, pneus usagés...) sans que leurs producteurs soient interpellés”. Suite à quoi, ils ont exigé des pouvoirs publics de les taxer. Face à la forte pression des mouvements écologistes et aux fortes taxes exigées, les producteurs ont créé, parmi leurs membres, un comité de prise en charge du financement de la collecte au prorata de la production de chacun des membres. Cette manne financière, négociée avec les organismes chargés de la collecte, leur est versée directement.
Quelle est la part de responsabilité des citoyens, sachant que le tri sélectif est quasiment inexistant dans nos rues ?
Les campagnes de sensibilisation, notamment celles menées par les associations, ont montré que les citoyens, dans leur grande majorité, sont prêts à participer au tri sélectif à la source. Les expériences menées par la société civile et des entreprises privées – malheureusement peu nombreuses – dans les cités ont donné des résultats très encourageants, particulièrement là où il y a des concierges et/ou des gestionnaires de cité. Le travail de sensibilisation doit continuer, mais il faut aussi montrer que le geste de tri n’est pas inutile. Nous devons revenir à la réalité, il ne peut y avoir de tri sélectif sans la logistique qui lui est nécessaire. Il ne sert à rien de trier les déchets si la collecte se fait par camions qui ramassent sans faire de distinction entre les déchets organiques et les déchets secs.
On parle de la valeur marchande potentielle du gisement des déchets recyclables, l’exemple étant donné par les grandes métropoles à l’étranger. Pourrait-il en être de même en Algérie, pour peu que toutes les conditions soient réunies ?
Évidemment. La plupart des déchets sont des produits qui peuvent être valorisés et devenir de véritables matières premières secondaires. Il faut, néanmoins, atteindre des volumes collectés conséquents et encourager l’investissement dans de grandes unités de valorisation.
Dans les écosystèmes auxquels vous faites allusion, le partenariat public/privé est la règle, car les procédés de traitement sont coûteux et les effets d’échelle importants. Il est donc nécessaire de prévoir grand, de collecter et de traiter beaucoup pour parvenir à des coûts intéressants, même s’il faut avoir recours à l’importation pour atteindre les objectifs de rentabilité. Parmi les conditions à réunir, on peut noter, entre autres, l’intéressement des investisseurs par la stabilisation de la réglementation pour qu’ils puissent se projeter sur le moyen et le long termes. Aussi, les pouvoirs publics doivent-ils prévoir des sites d’implantation adaptés pour les unités de traitement et les centres de stockage à cause des nuisances qu’ils génèrent, en assistant les entreprises dont l’activité dépend des marchés internationaux des matières premières, à l’exemple de la filière des plastiques qui dépend des cours mondiaux des hydrocarbures. Il faut également une réflexion en termes de filières de valorisation en favorisant leur émergence, car chaque type de déchet (carton, plastique, caoutchouc, aluminium…) possède ses propres aspects logistiques, industriels, techniques, législatifs et juridiques.
Estimez-vous le problème d’ordre politique, managérial ou tout simplement relevant de la bonne volonté conjuguée entre administrateurs et administrés ?
Les efforts consentis sur le plan réglementaire n’ont pas permis de créer un marché des matériaux recyclables. Près de 20 ans après la promulgation des textes censés encadrer les filières de récupération et de recyclage dans le double but de promouvoir une gestion rationnelle des déchets et de valoriser des gisements économiques dormants, le secteur est toujours à la recherche d’un modèle économique.
La collecte des déchets constitue un véritable casse-tête pour les pouvoirs publics. Si, à l’échelle nationale, l’état s’est doté d’un plan national d’action pour l’environnement et le développement durable (PNAE-DD), la traduction de ces programmes sur le terrain n’a toujours pas donné les résultats escomptés. Il est donc question de management stratégique et de management opérationnel à l’échelle locale. Il est temps, 20 ans après la promulgation des textes, de procéder à une évaluation sans complaisance, en associant l’ensemble des acteurs et particulièrement les investisseurs potentiels et la société civile, dont les rôles sont irremplaçables.
Interview réalisée par : SAÏD OUSSAD