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Divination méphistophélique, ce leurre thérapeutique

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Rabeh SEBAA Publié 29 Janvier 2022 à 01:00

© D. R.
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CHRONIQUE De : RABEH SEBAA

“C’est toujours une profonde ignorance qui fonde les certitudes les plus tenaces” (Ibn Sina)

C’est ainsi que tous les prêcheurs béatifiés et tous les guérisseurs gratifiés se mettent  à bomber tapageusement le torse de la méconnaissance, exhibant ostensiblement les biceps incurvés de l’ignorance, en claironnant bruyamment les vertus implacables de l’insignifiance.

Une pratique révoltante. Depuis trop longtemps présente, et qui devient de plus en plus pesante. De plus en plus fréquente, encore plus envahissante, depuis que cette satanée pandémie est devenue désespérément persistante. Poussant les plus vulnérables à s’y réfugier, à s’y blottir. 
Comme sous les ailes déployées d’un cygne dans son chant ultime. Comme un recours final au rituel invoquant les méandres obscurs de l’inconnu, de l’occulte, du trouble et de l’irrésolu. Un rite prétendument thérapeutique, se substituant frauduleusement à la médecine et pulvérisant profusément les avancées de la science, un rituel qui prend solidement ancrage dans le socle friable du niveau mental sociétal. 
À coup de proférations d’onomatopées vaguement anti-diaboliques, un cérémonial outrageusement mortifère sur lequel on a toujours choisi de fermer les yeux, ou faire semblant de regarder ailleurs, par crainte de sa supposée proximité d’on ne sait quelle nébuleuse sacralité. 
Une sacralité aux contours aussi flous qu’indéfénis, mais une sacralité fondée sur la peur, sur le rôle fondamental de la violence fondatrice, comme dirait René Girard. Et c’est cette supposée proximité avec ce type de sacralité qui pérennise un cérémonial prétendant garantir la guérison de tous les maux. Juste par le susurrement de quelques formules anti-sataniques. Des expressions douteuses et inaudibles pour sommer le démon à changer dare-dare d’habitacle, ou à s’exiler illico presto pour trouver une autre coquille endiablable, dans une contrée lointaine. Hors du corps tremblant qu’il habite, juste en lui déclamant à tue-tête des litanies anti-lucifériennes. Pour le chasser des corps démesurément cadavériques. Des corps décharnés, livrés à la merci de crapuleux négociants en stances du démon et en strophes diaboliques. Et qui hantent l’univers des pauvres et des miséreux. Déguisés en marchands de sérénades exorciques. Poussant l’outrecuidance de se faire payer sur la détresse de toutes les âmes aux abois. Toutes ces créatures vulnérables qui succombent à l’infortune de la vie et qui deviennent la proie privilégiée de ces aigrefins futés. 
Des arnaqueurs sans foi et sans la moindre appréhension de la loi, officiant en toute impunité, depuis plusieurs années déjà, à travers toutes les villes du pays. Touchant toutes les catégories sociales et tous les âges. Sévissant au vu et au su de tous, en toute impunité, malgré plusieurs décès enregistrés, malgré plusieurs viols durant ces séances lugubres et les multiples actes de pédophilie ou traumatismes irréversibles occasionnés à des enfants martyrisés. Malgré les séquelles indélébiles laissées par ces séances infernales et malgré l’interdiction, du bout des lèvres, de ce sale commerce de grinçantes et mutilantes sonorités, pour lequel aucune formation, aucun diplôme, aucune autorisation n’est exigée. Il suffit de faire semblant de psalmodier n’importe quoi, avant de se mettre à vociférer exagérément en malaxant copieusement le corps agité, souvent pris de spasmes qui n’ont strictement rien à voir avec ses séances de mystification et de falsification. Des séances où c’est plus le côté théâtral qui est mis en avant, des dialogues avec les diables et les démons en les appelant par leurs prénoms. 
En leur rappelant les précédentes rencontres et les précédents pugilats, étalant les relations intimes, dans leur langage avec les démons. Tout en laissant croire que tout cela relève de la religion et des pratiques ancestrales inscrites dans le corps convulsif de la société et de la mentalité algérienne. Et c’est en plein désarroi sociétal qu’on s'évertue à les replacer sur un piédestal, au nom de la religion. Depuis que la primauté lui est donnée sur la science et la raison, depuis qu’il a été décidé de lui accorder la priorité en matière de savoir. Transformant tous ses prétendus porteurs en sachants à la place des sachants, les consacrant comme détenteurs attitrés des prérogatives de la science, les érigeant institutionnellement en détenteurs de connaissances. Les transformant officiellement en distributeurs machinaux de sentences et en mandataires certifiés des consciences. Ouvrant ainsi le funeste cortège des duels, sermon contre science, prêche contre connaissance, prédication contre érudition, et c’est ainsi que tous les prêcheurs adoubés dament le pion aux scientifiques boudés. Ils savent qu’ils sont, soudainement, rendus plus importants, plus décisionnaires, plus visionnaires, plus sagaces, plus clairvoyants, et irrévocablement plus intelligents. Par la grâce de sa sérénissime dame incompétence officielle, juchée, du jour au lendemain, sur le trône gluant de sa sœur jumelle, l’inconséquence. 
C’est ainsi que tous les prêcheurs béatifiés et tous les guérisseurs gratifiés se mettent à bomber tapageusement le torse de la méconnaissance, exhibant ostensiblement les biceps incurvés de l’ignorance, en claironnant bruyamment les vertus implacables de l’insignifiance. Prenant goût à l’exhibitionnisme, tous ces charlatans ne veulent plus s’arrêter en si bon chemin, puisqu’on leur a dit qu’une seule de leur sentence prime sur toutes les recommandations de la science, ils mettent alors du zèle à l’ouvrage, commençant par réclamer la réouverture immédiate de tous les prêchoirs, tout en martelant que ce privilège est réservé aux hommes uniquement. Les prioirs féminins, comme beaucoup d’autres choses concernant les femmes, ne figurent pas dans le calendrier du recommencement car, il faut bien les conserver à l’abri des démons de la libido prieuse, toujours aux aguets. Et puis, une fois que les cohortes de pieuses et de psalmodieuses ont retrouvé les bienfaits de l’enfermement, ils ne doivent plus le quitter. 
C’est là que se niche toute la vision machiste de la femme algérienne de ces prédicateurs patentés, résumant toute leur représentation de ce symbole du combat qui incarne la résilience de la société algérienne. Ignorant totalement l’hymne du grand maître soufi Ibn ‘Arabi qui était persuadé que dans la féminité, il existe une part de divinité. Une féminité magnifiée, une féminité glorifiée, une féminité déifiée. Une conception de la féminité inaccessible à l’ignorance crasse de ces diseurs d’incongruités, ces déclamateurs d’onomatopées qui n’ont jamais croisé le moindre texte d’Ibn ‘Arabi ou d’Ibn Rochd. 
Des récitateurs pressés ignorant tout du Cheikh Al Akbar qui a enseigné le sens de la transcendance durant toute sa vie, ou d’Ibn Rochd qui y a laissé la sienne, lynché par d’autres prêcheurs et d’autres sermonneurs, d’autres prédicateurs et d’autres guérisseurs. Juste pour avoir osé organiser un rendez-vous savant entre la foi et la raison, entre science et religion, souhaitant de toutes ses forces voir se célébrer une noce entre rationalité et religiosité. Un mariage qui n’eut jamais lieu, mais des siècles plus tard, la seconde ferme farouchement les yeux à la première, au nom d’on ne sait quel retour de sacralité. Tissée sur les lambeaux épars d’une ignominieuse duplicité, qui brandit la bannière de l’institutionnalisation de la détresse. 
Poussant le cynisme jusqu’à distribuer Le Livre sacré à des personnels soignants manquant de tout, les invitant à troquer leur savoir médical contre des psalmodies et des gesticulations orales, après les avoir outrageusement dépossédé de leur aptitude à gérer les prospectives vitales. Une duplicité portée par des exécutants arborant l’uniforme de représentants célestes, mais officiant en qualité de fonctionnaires appliquant des consignes bassement terrestres. Enfonçant encore plus la société dans sa torpeur somnambulique, et dans l’enchevêtrement inextricable des affres de son inconsistance atavique, au nom, précisément, d’on ne sait quel héritage spirituel et de quel patrimoine culturel, ni même de quels repères traditionnels car, de tout temps, les spiritualités et les culturalités ont fait très bon ménage avec les sciences et les savoirs dans les sociétés qui avancent car, quand les spiritualités, les sciences et les culturalités s’entrelacent avec ferveur, l’esprit lumineux rayonne sur la vie avec vigueur. 

 

 

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